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EDITORIAL

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Mener une recherche pluri-inter ou transdisciplinaire en oncologie : à quoi s’attendre ? Comment s’y préparer ?

Conducting Multi-Inter or Transdisciplinary Research in Oncology: What to Expect? How to Prepare?

by Cassandra Patinet1,2,3,*, Diane Boinon4,5, Sylvie Dolbeault6

1 Unité Transversale de Recherche en Psychogénèse et Psychopathologie, Université Sorbonne Paris Nord, Villetaneuse, 93430, France
2 Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil, Unité de médecine de l’adolescent, Créteil, 94000, France
3 Laboratoire UTRPP, Université Sorbonne Paris Nord, Villetaneuse, 93430, France
4 Gustave-Roussy, Unité de psycho-oncologie, Villejuif, F-94805, France
5 Laboratoire de psychopathologie et processus de santé, Université Paris Cité, Boulogne-Billancourt, F-92100, France
6 Psycho-Oncology and Social Service, Supportive Care Department, Institut Curie, Paris, 75005, France

* Corresponding Author: Cassandra Patinet. Email: email

Psycho-Oncologie 2024, 18(4), 377-379. https://doi.org/10.32604/po.2024.053389

Abstract

This article has no abstract.

Introduction

La modification du regard porté sur l’objet « soin » affecte les pratiques de soin, dans une réflexion non plus uniquement centrée sur le remède, sur le soin en tant que « cure », mais sur « la façon dont on donne le soin » [1] au sens où Winnicott entend le « care-cure » [2]; favorisant ainsi le développement de pratiques de soin innovantes, portée par une réflexion collective et pluridisciplinaire autour des patients. Si le soin en oncologie ne peut plus se penser ni se pratiquer en dehors d’une rencontre pluridisciplinaire autour du patient, il en va de même pour la recherche dans le domaine du cancer.

Depuis les années 2000, les chercheurs s’accordent sur la nécessité de et sur la manière de conduire des recherches collaboratives, qu’elles soient pluri-inter ou transdisciplinaires dans le champ de la santé et du soin, pour favoriser un espace de compréhension plus global qui rende compte de la complexité de l’objet étudié. Ainsi, face à cette complexité, un autre type de rapport à l’objet étudié s’impose. Car, « la cohérence dans la définition disciplinaire de l’objet, acquise au prix d’une réduction de ce dernier, ne se retrouve pas forcément sur le terrain de l’observation » [3]. Pour autant, les mêmes auteurs ajoutent que « le rôle des disciplines doit être pris très au sérieux » car « ce que l’on voit des sciences, on le voit au travers des disciplines ». C’est là en effet un point très important en tant qu’il nous rappelle que la notion de « discipline » renvoie à un processus d’institutionnalisation des discours, à l’intérieur de cadres à la fois théoriques, épistémologiques et méthodologiques bien distincts, au sein desquels l’objet est « donné », dans une forme de cohérence disciplinaire. Tout l’enjeu pour la science contemporaine réside donc dans cette double exigence posée aux disciplines scientifiques et aux communautés de chercheurs qui les composent, à savoir : de continuer d’une part, à produire un « discours sur » tout en commençant à « travailler avec ». Cependant, les conditions de ce travail ne sont pas évidentes ; car s’engager dans un travail « avec » implique, au démarrage, un travail « sur » les conditions rendant cette rencontre possible ; c’est-à-dire un travail sur les valeurs : à quelle(s) condition(s) pouvons-nous nous rencontrer ? A quoi chacun de nous tenons ? Qu’avons-nous en commun ? Pouvons-nous formuler des objectifs communs ? Doit-on produire du commun ?

Quelques points de repères s’imposent ici pour comprendre dans le champ de la recherche les différences entre « pluridisciplinarité », « interdisciplinarité » et « transdisciplinarité » en sciences humaines et sociales. La plupart des chercheurs s’accordent pour définir la pluridisciplinarité comme une approche sous-tendue par « l’addition » ou la « juxtaposition » de différentes disciplines autour d’un objet commun ; toutefois, chaque discipline poursuit des buts distincts, propres aux attendus relatifs à la discipline donnée [46]. Ce type d’approche renverrait davantage à une étude « en parallèle » plutôt que « en commun » d’un phénomène donné. Dans cette perspective, les chercheurs peuvent échanger des connaissances mais sans jamais que les limites de chaque discipline soient questionnées. Au contraire de l’approche pluridisciplinaire qui garantit des limites fermes entre les différentes disciplines engagées, l’approche interdisciplinaire [79] est sous-tendue par une rencontre plus engagée entre disciplines a priori très différentes quant à leurs modalités d’accès et de production du savoir. Dans cette perspective, la recherche n’est pas orientée par une thématique mais par la résolution de problèmes : elle est donc marquée par l’effort collectif entre les différentes disciplines pour remplir un objectif commun et formulé en commun. Contrairement à l’approche pluridisciplinaire, où les certitudes ne semblent pas être menacées, le chercheur impliqué dans une démarche de recherche interdisciplinaire se confronte à des zones d’incertitude, quant à ses propres acquis, quant à la direction que prend la réflexion avec ses collègues : mais c’est à cette condition que peut commencer le véritable travail d’interdisciplinarité1. L’approche transdisciplinaire [1013] quant à elle, étend encore au-delà les limites de la disciplinarité, en intégrant des acteurs publics (experts institutionnels, acteurs publics, associations de patients, « patients experts »), non issus du monde académique, au processus de recherche. Dans ce type de recherche, les notions de réflexivité [14] et de créativité sont au premier plan. Les chercheurs sont ainsi engagés dans des processus de déconstruction de certains acquis, dans la manière de conduire ou de contribuer à un certain type de recherche, ce qui peut conduire à des moments de forte incertitude, de confusion, voire d’incompréhension dans le collectif de chercheurs.

Comment alors co-construire une recherche pluri-inter ou transdisciplinaire entre des chercheurs issus de disciplines variées, et tenter d’aborder ensemble un supposé même objet aussi complexe ? Quels sont les leviers et les freins à cette co-construction ?

Dossier thématique : Pluridisciplinarité et méthodes pour la recherche en SHS dans le domaine du cancer

Pour réfléchir ensemble à ces questionnements, notre groupe de travail « Pluridisciplinarité et méthodes en SHS » du Cancéropôle IDF (co-piloté par Sylvie Dolbeault à l’Institut Curie et Diane Boinon à Gustave Roussy) a convié, le 15 décembre 2022 à Paris, plusieurs chercheurs franciliens issus de différentes disciplines des sciences Humaines et Sociales (SHS) et médecins oncologues lors de son séminaire méthodologique annuel. Ces chercheurs ont partagé leur expérience de terrain pour tenter d’identifier les bonnes pratiques pour la co-construction d’une recherche pluri-inter ou transdisciplinaire. La nécessité de s’interroger sur sa place dans la rencontre autour d’une question de recherche, sur son identité de chercheur, sur les espaces possibles de cette rencontre et sur les choix des méthodes, mais également sur les bonnes pratiques nécessaires à la mise en œuvre d’une recherche pluri-inter ou transdisciplinaire sont apparus comme des enjeux majeurs. Il nous semblait alors important de partager ces dimensions concrètes du travail dans le cadre d’un dossier thématique dans notre revue « Psycho-oncologie » : “Pluridisciplinarité et méthodes pour la recherche en SHS dans le domaine du cancer”. Pratiquer une recherche pluri-inter ou transdisciplinaire invite semble-t-il chacun à sortir de ses zones de confort, à se confronter à de l’incertitude, à de l’inattendu pour dialoguer et prendre le risque de créer et d’inventer ensemble de nouvelles pratiques/méthodes/façons de faire de la recherche pour faire face à la complexité des objets étudiés. Toute une aventure !

Pour ouvrir ce dossier thématique, Elsa Bansard examine, au travers de l’exemple d’un travail de philosophie, les enjeux épistémologiques, institutionnels, administratifs et humains qui se posent lors de l’élaboration d’une question de recherche dans un projet interdisciplinaire.

Léonor Fasse et François Blot présentent l’évaluation d’une stratégie institutionnelle en cancérologie, visant à renforcer l’information sur les directives anticipées et, plus généralement, l’anticipation palliative. Cette étude mixte et longitudinale porte tant sur les professionnels que sur les patients et proches-aidants.

Cassandra Patinet interroge quant à elle les conditions de reprise et de continuation du dialogue interdisciplinaire sur le terrain de la recherche après que la collaboration entre médecins et psychologues chercheurs se soit instituée et pérennisée sur le plan institutionnel.

Enfin, Silvia Rossi et Joëlle Kivits, discutent la mise en acte de l’interdisciplinarité dans le cadre du projet PARCA visant à améliorer le parcours des soins en cancérologie. L’interdisciplinarité y revêt deux dimensions : celle désormais connue des chercheurs et chercheuses en santé amenées à traverser les frontières de leur discipline pour interroger leur objet avec « d’autres ». Sociologie, santé publique, études littéraires, oncologie se sont ainsi retrouvées pour problématiser la question des parcours. La seconde dimension est celle de la participation des patients et patientes qui vient augmenter l’interdisciplinarité de nouveaux savoirs issus de l’expérience : les autrices abordent le travail d’interconnaissance nécessaire à la réalisation de la recherche et les enjeux de reconnaissance qui subsistent en recherche interdisciplinaire et participative.

En complément

Pour compléter ce numéro, quatre articles (hors du dossier thématique) traitant des difficultés psychologiques et sociales des enfants atteints de cancer et de leurs proches sont ici présentés.

Dans une revue de la littérature narrative portant sur les difficultés scolaires des enfants ayant survécu à un cancer, Fanny Delehaye et ses collègues mettent en avant l’apport du recours à l’expertise pratique d’une enseignante à leur travail afin de mieux cerner les difficultés auxquelles font face les enfants, leurs parents, les enseignants et de proposer des solutions adaptées.

Dans leur étude multicentrique, Fanny Delehaye et ses collègues évaluent auprès d’une cohorte de 1003 enfants dans l’après-traitement d’un cancer les facteurs de risque associés aux difficultés scolaires et psychologiques, en s’intéressant particulièrement à l’impact du statut socio-économique du foyer de l’enfant, évalué à partir d’un score de déprivation sociale.

Dans leur article portant sur l’évaluation de la qualité de vie en cancer pédiatrique avancé, Lye-Ann Robichaud et ses collègues proposent de retracer le processus de construction d’un outil de mesure adapté aux contraintes, difficultés et besoins réels des personnes, en combinant plusieurs méthodes de recueil de données : des entretiens (patients, parents, cliniciens), une recension de la littérature, le point de vue d’experts.

Enfin, dans leur étude qualitative, Laure Salomé et ses collègues explorent à partir d’entretiens non directifs l’expérience de parents face à l’hospitalisation à domicile de leur enfant atteint de cancer. C’est à partir de l’identification des apports, des attentes et des difficultés éventuelles perçues par les parents que les auteurs proposent quelques recommandations pour améliorer l’expérience de la famille liée à ce mode d’hospitalisation.

Remerciements/Acknowledgment: Les auteurs remercient les auteurs des articles inclus dans ce numéro.

Financements/Funding Statement: The authors received no specific funding for this study.

Contributions des auteurs/Author Contributions: Les auteurs confirment la contribution suivante à ce manuscrit : Cassandra Patinet ; a rédigé la première version du manuscrit : Diane Boinon, Sylvie Dolbeault. All authors reviewed the results and approved the final version of the manuscript.

Disponibilité des données et du matériel/Availability of Data and Materials: Not applicable.

Avis éthiques/Ethics Approval: Not applicable.

Conflits d’intérêt/Conflicts of Interest: The authors declare no conflicts of interest to report regarding the present study.

1Cf. l’article de C. Patinet dans ce même numéro.

References

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Patinet, C., Boinon, D., Dolbeault, S. (2024). Mener une recherche pluri-inter ou transdisciplinaire en oncologie : à quoi s’attendre ? comment s’y préparer ?. Psycho-Oncologie, 18(4), 377-379. https://doi.org/10.32604/po.2024.053389
Vancouver Style
Patinet C, Boinon D, Dolbeault S. Mener une recherche pluri-inter ou transdisciplinaire en oncologie : à quoi s’attendre ? comment s’y préparer ?. Psycho-Oncologie. 2024;18(4):377-379 https://doi.org/10.32604/po.2024.053389
IEEE Style
C. Patinet, D. Boinon, and S. Dolbeault, “Mener une recherche pluri-inter ou transdisciplinaire en oncologie : à quoi s’attendre ? Comment s’y préparer ?,” Psycho-Oncologie, vol. 18, no. 4, pp. 377-379, 2024. https://doi.org/10.32604/po.2024.053389


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