Open Access
ARTICLE
Expérience des parents face à l’accompagnement pédiatrique en HAD : étude exploratoire qualitative
Parents’ Experience of Pediatric Home Care: A Qualitative Exploratory Study
1 Institut de psychologie, Université Paris Cité, Bouologne-Billancourt, 92774, France
2 Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon, Service d’hospitalisation à domicile, Paris, 75019, France
3 Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé UR4057, Université Paris Cité, Boulogne-Billancourt, 92774, France
* Corresponding Author: Laure Salomé. Email:
Psycho-Oncologie 2024, 18(2), 137-146. https://doi.org/10.32604/po.2024.046820
Received 16 October 2023; Accepted 18 February 2024; Issue published 06 August 2024
Abstract
Objectif: Explorer l’expérience des parents face à l’hospitalisation à domicile (HAD) de leur enfant atteint de cancer afin d’identifier les apports, attentes et difficultés éventuelles liées à ce mode d’hospitalisation. Matériel et méthodes: Une méthode qualitative a été adoptée, des entretiens non directifs ont été réalisés auprès de neuf participants, puis analysés selon une analyse thématique de contenu. Résultats: Les principaux thèmes récurrents du discours incluent : (1) le soulagement, (2) la représentation positive de la maison, (3) et la représentation positive de l’HAD et (4) la représentation négative de l’HAD. Pour ces parents, l’HAD semblent globalement positive même si la mise en place de celle-ci est souvent rapportée comme source de stress pour les parents. Conclusion: Ces résultats doivent être interprétés avec prudence mais permettent de conforter des recherches précédentes et de mettre en avant certaines recommandations afin d’améliorer encore cette expérience notamment pour les parents mais aussi pour l’enfant malade et toute la famille.MOTS CLÉS
Keywords
Créée en 1945 aux États Unis sous l’appellation « home care », les premières expérimentations d’Hospitalisation à Domicile (HAD) en France ont été mises en place à la fin des années 1950 pour permettre aux patients cancéreux d’être pris en charge chez eux, dans un souci d’amélioration de leur qualité de vie. Après une longue période de structuration administrative et législative, l’HAD a connu un véritable essor à partir des années 2000 pour des raisons principalement économiques et sociétales [1]. En 2009, la loi Hôpital, Santé et Territoires (HPST) a fait de l’HAD une appellation protégée et a reconnu l’activité comme une modalité d’hospitalisation à part entière faisant partie des missions d’un établissement de santé. En 2020, 286 structures d’HAD étaient autorisées en France à exercer [2]. Pour autant, l’activité pédiatrique en HAD reste marginale : 19 services dédiés étaient référencés en 2019 et l’activité pédiatrique représenteraient 4,7% de l’activité globale [3]. Les interventions des professionnels de l’HAD pédiatrique consistent en des visites à domicile de façon régulière voire quotidienne pour réaliser des soins techniques associés à la situation spécifique de l’enfant. Ces visites permettent également la gestion logistique avec les inventaires des médicaments, leurs livraisons ainsi que la mise en place de matériel médical si nécessaire (lit hospitalier, table adaptable, pied à perfusion, etc.). L’équipe est également composée de pédiatres qui assurent la coordination médicale avec l’hôpital référent de l’enfant. Des soins de support peuvent être sollicités et réalisés lors de visites à domicile par les psychologues, les assistants sociaux, les diététiciens, etc. La fin d’HAD intervient lorsque les soins techniques hospitaliers ne sont plus nécessaires pour l’enfant, ou si une hospitalisation complète en cas de dégradation est nécessaire.
Le cancer chez l'enfant est une maladie relativement rare qui représente, dans les pays développés, 1 à 2 % de l'ensemble des cancers [4]. Environ 2,500 nouveaux cas chaque année en France, sont diagnostiqués. La stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021–2030 considère la cancérologie pédiatrique comme un de ses axes prioritaires [5]. En effet, l’expérience du cancer et de son traitement représente encore une épreuve dure et déstabilisante pour les patients et leurs proches, malgré des progrès médicaux. Elle provoque de nombreuses et complexes difficultés psychologiques, relationnelles, familiales, éthiques [6].
Le retour à la maison de ces enfants pour poursuivre les soins ou traitements après la phase aigüe lorsque cela est possible, tout en maintenant la qualité des soins de l’hôpital, pourrait avoir un impact sur le vécu des patients mais également de leur proche. L'organisation des soins au domicile en tenant compte des dynamiques relationnelles contribue au retour à une vie plus unie grâce aux relations familiales [3].
Dans le contexte du cancer pédiatrique, la place et le rôle des parents ou des référents éducatifs est primordiale. Pour aider un enfant à traverser l’épreuve du cancer, il importe de s’intéresser à la situation actuelle de sa famille et d’être attentif à ses parents, notamment à leur vécu des aspects pratiques du traitement de la maladie et aux conséquences qui en découlent dans l’organisation de leur vie quotidienne [6] comme la mise en place d’une HAD. En effet, l’organisation de l’HAD demande un travail de coordination à mettre en œuvre avec le patient lui-même et son entourage [7].
Les travaux portant sur l’HAD en France ont montré comment les proches sont conduits à adopter un rôle de soignant [8]. En effet, la prise en charge en HAD implique l’investissement des parents dans une posture de soignant professionnel, réalisant ou accompagnant des soins techniques et invasifs spécifiques qui sont réalisés habituellement par des professionnels de santé lors d’une hospitalisation dite traditionnelle. Plus récemment, l’observation sur une période de deux ans d’une équipe d’hospitalisation pédiatrique à domicile en France a montré la manière dont les infirmières travaillent en se coordonnant avec les parents [7]. Il en ressort que l’HAD d’un enfant investit les parents dans les soins, en aidant les professionnels. En effet, l’objectif est qu’ils puissent non seulement aider les soignants souvent seuls à domicile mais aussi devenir plus autonomes dans la réalisation des soins. Ainsi, les parents sont amenés à occuper une place « de soignant professionnel » de leur propre enfant, les mettant dans une posture difficile, en plus de leur rôle parental établi.
Cependant, la littérature a également montré l’impact positif de la réalisation de chimiothérapies pour des enfants à domicile en termes d’amélioration de la qualité de vie déclarées des parents, mais aussi des enfants, sans pour autant entrainer une diminution du fardeau des soins [9–11]. Si ces recherches nous donnent des éléments intéressants, il est difficile d’en tirer des conclusions claires compte tenu de la disparité des interventions, des limites méthodologiques, des différences de culture et dans les systèmes de santé. D’autres recherches ont exploré les priorités des parents concernant les soins palliatifs à domicile de leur enfant. Il en ressort l’importance pour les parents de la bonne gestion des symptômes et de la douleur mais aussi des aspects psychologiques et émotionnels des soins de l’enfant ainsi que de la coordination des soins [11]. Toutefois, cette connaissance sur l’expérience des parents mérite d’être approfondie notamment en France. En effet, si des travaux portant sur l’HAD pédiatrique ont été réalisés, ils se sont surtout intéressés à la participation des parents aux soins. À notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée, en France, à l’expérience des parents d’enfant atteint d’un cancer lors d’une HAD en termes d’avantages perçus ou de difficultés rencontrées. L’objectif de cette étude pilote qualitative est donc d’identifier quels étaient pour les parents les principaux apports et difficultés concernant ce mode d’hospitalisation ainsi que leurs attentes au sujet de celui-ci.
Recrutement, critères d’inclusion et de non-inclusion
Ont été inclus dans cette étude les parents d’enfants atteints d’un cancer et pris en charge au sein de l’HAD de la Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon en région parisienne. Ils devaient parler couramment le français (Tableau 1 et 2).
Ont été non inclus les parents ayant rapporté souffrir d’une ou plusieurs pathologie(s) chronique(s) somatique(s) et/ou d’au moins un trouble psychiatrique.
Ce projet d’étude a fait l’objet d’une présentation aux praticiens de l’HAD et à l’équipe en charge des projets de recherche afin d’obtenir un avis éthique, et a été validé. La stagiaire psychologue clinicienne et chercheuse (LS) a procédé au recrutement des participants par un contact téléphonique permettant de leur présenter brièvement les objectifs de la recherche. Un mail leur était adressé accompagné d’une note d’information, leur précisant l’ensemble de leurs droits et que leur participation ou le refus de participation à cette étude n’impacterait pas la prise en charge globale de leur enfant par l’HAD, et d’un formulaire de consentement à signer avant le début de l’inclusion. L’ensemble des données était confidentiel et anonymisé. De plus, les professionnels de l’HAD n’étaient pas informés de la participation ou du refus des personnes contactées afin d’éviter un changement de comportement des professionnels. Il était ensuite convenu d’un rendez-vous pour un entretien de recherche d’une durée de 30 à 45 min soit en présentiel au domicile des participants soit en visio-conférence, selon leur préférence.
Un questionnaire socio-démographique a été conçu.
Des entretiens individuels semi-directifs ont été menés par la chercheuse, LS, sur la base d’un guide d’entretien défini au préalable (Tableau 3). Des phrases de relances étaient utilisées lorsque le discours des participants déviait des objectifs de l’entretien et pour permettre de parcourir les thèmes définis. L’entretien démarrait sur une question ouverte.
Un matériel d’enregistrement vocal a été utilisé avec l’accord des participants pour colliger les entretiens réalisés en personne. Les entretiens en visio-conférence ont été réalisés sur le logiciel Zoom®.
Chaque entretien a été retranscrit par la chercheuse principale, LS, en garantissant l’anonymat des participants. Selon la méthode d’analyse thématique décrite par Paillé et Muchielli [12], elle a ensuite effectué un codage manuellement, une remontée en catégories et une extraction des thèmes. Il s’agit d’une méthode inductive laissant les participants s’exprimer librement. Par la suite, l’encadrant de la recherche (CF), membre du Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé de l’Université de Paris Cité, a vérifié la pertinence de ces derniers. Cette méthode a été retenue car cette étude exploratoire se veut descriptive. Cette étude a été menée selon les critères de recommandations COREQ [13,14].
Dix participants ont été sollicités et inclus dans le cadre de cette étude. Au final, l’échantillon global se composait de neuf participants (n = 9), dont cinq femmes et quatre hommes, âgés en moyenne de 37,9 ans. Un des parents ayant rapporté souffrir d’une pathologie chronique somatique a été exclu. Ils étaient pour 55,6% en activité professionnelle et pour 44,4% en arrêt de travail. Les participants avaient un enfant malade âgé en moyenne de 7 ans. Ils avaient en moyenne 1,9 enfant. Enfin, en moyenne, leur enfant malade était pris en charge par l’HAD depuis 5,7 mois (Tableau 1 et 2). Les entretiens ont duré entre 25 et 38 min.
L’analyse thématique des propos des parents a révélé neuf thèmes parmi lesquels, quatre d’entre eux constituent des thèmes majeurs car ils ont été cités par l’ensemble des participants : le soulagement, la représentation positive de la maison, la représentation positive de l’HAD et la représentation négative de l’HAD. Les cinq autres thèmes étaient les suivants : la représentation des soignants, la représentation des soins à la maison et la représentation négative de l’hôpital, le vécu de la maladie et le vécu du retour à la maison (Tableau 4). Pour répondre aux objectifs principaux de cette étude, nous présenterons les quatre thèmes majeurs.
Ce premier thème est exprimé par l’ensemble des parents. Ce thème se divisait en quatre sous-thèmes. Ainsi, l’ensemble des parents a exprimé combien l’HAD est un soutien (n = 9): « ça aide beaucoup, on s’en rend compte surtout quand on a connu un autre schéma avant (…) ce sont des périodes pas évidentes donc c’est un vrai soutien » (M. 35 ans). De plus, les participants ont associé aussi le soulagement à la coordination des soins (n = 8) : « pour ce qui est de la transmission des informations, j’avais pas de souci à me faire de ce côté-là » (J. 33 ans). Nombreux sont également les parents qui ont rapporté que sur le plan logistique (n = 6), l’organisation mise en place par l’HAD est un vrai soulagement : « qu’il n'y ait pas à faire le suivi, d’aller réclamer au labo les analyses, tout ça, donc il y a eu un soulagement en termes de démarches, de logistique » (R. 36 ans). Enfin, la plupart des parents se sont aussi exprimés sur le soulagement que procure l’accessibilité et la disponibilité de l’équipe de l’HAD (n = 6) : « à chaque fois qu’on avait un doute, nous étions toujours rassurés, on pouvait les appeler quand on voulait » (M. 42 ans).
La représentation positive de la maison
Tous les parents ont décrit le fait d’être à la maison de façon positive. Parmi cette représentation positive de la maison, sept sous-thèmes ont été relevés. Le premier concernait celui d’une meilleure qualité de vie (n = 9) à la fois pour l’enfant et pour les parents associés au bien-être de l’enfant : « quand il est retourné à la maison, c’était pas du tout pareil quoi, (…). À la maison, il était beaucoup mieux et nous aussi. En termes de qualité de vie, ça n’a rien à voir » (C. 45 ans). En outre, les parents se représentaient le fait d’être hospitalisé à la maison comme un gain de temps (n = 8) : « il a juste à descendre pour faire la prise de sang ou changer le pansement que de (…) perdre deux ou trois heures» (C. 45 ans). Par ailleurs, les parents associaient aussi la maison à un environnement sécurisant (n = 7) : « il est très fragile, (…) donc un rhume pouvait être, non pas fatal mais très dangereux pour lui, (…) donc je me suis dit au moins à la maison c’est contrôlé, (…) c’est pas comme à l’hôpital (…) » (I. 40 ans). Pour les parents, la maison signifiait aussi un environnement familier (n = 6) : « à la maison, on a tous les repères, quoi, il y a tout, s’il a besoin de quelque chose, il sait que c’est à la maison » (J. 33 ans). Par ailleurs, certains parents reliaient la maison au rassemblement de la famille (n = 6), les séjours à l’hôpital obligeant souvent les parents à se séparer, notamment pour permettre d’assurer une présence auprès de la fratrie : « il est avec nous, il a la vie de famille, il a sa sœur parce que quand on est à l’hôpital, on n’a pas de vie de famille, on n’a rien, c’est chacun vit de son côté » (M. 42 ans). Les parents exprimaient aussi que d’être à la maison est un gain de liberté (n = 4) : « je veux dire qu’il n’est pas branché donc il peut bouger, (…), il est dans son lit, les seuls déplacements qu’il peut faire, c’est le lit vers les toilettes » (J. 33 ans). Enfin, la représentation positive de la maison était associée à la possibilité de cuisiner et de mieux manger (n = 2) : « ne serait-ce que sur la nourriture parce que c’est vrai qu’à l’hôpital, il mangeait pas, mais non c’est mieux effectivement » (C. 45 ans).
La représentation positive de l’HAD
Il est ressorti de l’analyse des entretiens que tous les participants avaient aussi une représentation générale positive de l’HAD. En effet, ce thème principal a été spontanément rapporté dans la totalité des entretiens. Tout d’abord, les parents ont fait part de leur sentiment de satisfaction générale (n = 9) : « le fait d’avoir pu bénéficier de l’HAD, c’est quand même pour nous quelque chose de positif » (H. 40 ans). Il ressortait aussi le sentiment de mieux-être pour l’enfant (n = 9) : « il a beaucoup mieux vécu l’HAD que l’hôpital. D’une part, au niveau du moral et de la personnalité… quand il est retourné à la maison, (…), le moral était meilleur » (C. 45 ans). L’HAD est aussi associée positivement à un sentiment de vie facilitée pour les parents (n = 9) notamment par le gain de temps et la limitation de la fatigue : « ça m’a complètement facilité la vie … le fait de ne plus se déplacer » (J. 33 ans). Enfin, les verbatims des parents ont permis de mettre en évidence une appréhension quant à la fin de l’HAD (n = 6) souvent associée à la crainte de se retrouver seuls : « c’était rassurant, d’ailleurs, maintenant que ça va s’arrêter, on a l’impression d’être un peu lâchés, d’être seuls pour tout gérer » (M. 42 ans).
La représentation négative de l’HAD
Ce thème est aussi ressorti de l’ensemble du discours des participants. Il est divisé en 8 sous thèmes. Tout d’abord, les participants ont fait part du manque d’anticipation de la mise en place et d’informations sur l’HAD (n = 6) : « encore une fois, ça arrive tellement vite à la fois la maladie et le retour à domicile qui est annoncé 24 à 48 heures avant… je n’avais pas eu le temps de prévoir avant… » (H. 40 ans). Le deuxième sous-thème qui ressortait est l’appréhension et le stress (n = 6) ressentis par les parents au moment de l’annonce de la mise en place de l’HAD : « L’HAD ça nous a un peu fait peur dans un premier temps, on s’est tout de suite vu avec le lit d’hôpital (…) » (M. 35 ans). En outre, quelques parents se sont exprimés sur un sentiment d’intrusion (n = 3) dans leur vie voire leur intimité avec la mise en place de l’HAD : « on nous pose des questions sur ce qu'on fait, (…) sur la façon dont on se comporte avec son enfant, (…) j'ai ressenti des questions (…) qui m'ont dérangée » (H. 40 ans). Un autre sentiment a été exprimé par les parents. Il s’agit du sentiment de subir l’HAD (n = 3), celle-ci a pu être vécue comme s’il n’y avait pas d’autre choix : « je comprends pas pourquoi on me demande si je suis d’accord euh bah pourquoi je ne serai pas d’accord, quelles sont mes autres options en fait (…) » (J. 33 ans). Des parents ont aussi exprimé le besoin d’un temps d’adaptation (n = 2) : « ça veut dire que chez moi, il faut que je réorganise tout, que je m’adapte aussi à toutes ces personnes-là qui vont venir » (H. 40 ans). Par ailleurs, des participants ont mentionné comme une contrainte les nombreux passages à domicile et notamment en faisant le lien avec l’insécurité (n = 2) : « Il faut qu'il y ait le moins de contact possible et, (…) plus les gens viennent à la maison, et plus forcément le risque peut être grand. (…) » (J. 37 ans). Un autre sous-thème a pu être dégagé du discours des participants, il concernait la disponibilité des parents (n = 2) : « Le seul point négatif (…) c'est au niveau des livraisons des médicaments, des chimios, on est pas averti, ça c'est un peu embêtant (…). » (M. 42 ans). Enfin, un dernier sous-thème était relatif à la préférence pour réaliser les soins soi-même (n = 2) : « personnellement, moi je dirais que je subis parce que … ça me dérangerait pas de faire des soins, de faire des prises de sang, tout ça, c'est pas quelque chose qui m’effraie (…) » (J. 37 ans).
Parmi les thèmes relevés issus du discours des parents, nous avons pu identifier des apports concernant cette expérience de l’HAD. En effet, cette expérience de l’HAD est vécue pour la totalité des participants comme un soulagement. Les parents expriment un sentiment de satisfaction générale. L’HAD semble notamment faciliter la vie des parents et être source de mieux-être pour l’enfant. Cette étude semble faire apparaître des liens entre certains sous-thèmes : la notion d’une vie facilitée pour les parents peut constituer une source de soulagement. Ainsi, une future étude pourrait permettre de vérifier une éventuelle corrélation. En outre, le fait d’être hospitalisé à la maison a, selon eux, des répercussions positives sur la qualité de vie des enfants et sur leur sécurité. Toutefois, l’étude a aussi révélé quelques difficultés notamment en ce qui concerne la mise en place de l’HAD, celle-ci n'ayant pas été suffisamment anticipée et les parents ont le sentiment de manquer d’informations, ce qui est source d’appréhension et de stress. Ils s’expriment sur le besoin d’un temps d’adaptation mais aussi sur le sentiment d’intrusion ou de subir.
Ces résultats semblent conforter des recherches antérieures. Celles-ci avaient notamment permis d’identifier plusieurs facteurs améliorant la perception des parents de la qualité des soins tels que les soins et prises de décision centrés sur l’enfant et la famille, l’inclusion des frères et sœurs dans les processus de soins, ou une communication cohérente et de haute qualité entre la famille et les équipes [15]. Par ailleurs, les résultats de notre étude semblent s’inscrire dans la même tendance que les résultats des études menées jusqu’ici à l’étranger, en ce qui concerne l’expérience des parents et des enfants atteints de cancer, au sujet des programmes de chimiothérapie à domicile [10]. En effet, les participants ont une représentation plutôt positive de l’HAD, avec un sentiment de satisfaction générale, exprimé à l’unanimité, mais aussi une représentation positive de la maison, en ce qu’elle permet de maintenir un sentiment de familiarité, favorable notamment au mieux-être de l’enfant.
En outre, des difficultés ont aussi été exprimées concernant l’HAD. Il s’agit d’une contribution de cette étude, et notamment concernant l’un des objectifs de celle-ci, à savoir de pouvoir formuler d’éventuelles recommandations ou propositions d’évolution de certains aspects de l’HAD. Les participants ont tendance à relier celle-ci à un manque d’informations et d’anticipation. En effet, même s’il ressort du discours des participants une satisfaction de l’HAD, ils ont pu largement exprimer de l’appréhension et du stress au moment de la décision de la mise en place de celle-ci, soulignant aussi le besoin d’un temps d’adaptation. À ce sujet, il parait aussi intéressant de noter que plusieurs participants ont exprimé le sentiment de subir cette décision. D’autres participants ont exprimé un sentiment d’intrusion dans leur intimité notamment par les nombreux passages des différents intervenants à domicile. Ces va-et-vient étant ressentis, pour certains des participants, comme un manque de sécurité pour les soins de leur enfant au point d’exprimer une préférence, de la part de deux des parents, pour réaliser les soins eux-mêmes. Ainsi, cette représentation négative de la mise en place de l’HAD qui, à notre connaissance, est un apport de notre étude mérite d’être explorée. Cela nous paraît aussi important dans l’objectif visé d’améliorer la prise en charge en HAD des enfants atteints de cancer et de leur famille, au plus près de leurs besoins et attentes. En effet, il serait intéressant de savoir si des recommandations ont été prévues par rapport à cette annonce en termes de délai, de personnes qualifiées, d’informations et/ou de documents tel un livret d’accueil à donner. De plus, il serait utile d’explorer davantage quelles ont été les principales sources d’inquiétude des parents, au-delà des sous-thèmes mis en avant dans notre étude, et en les faisant préciser. Par exemple, nous pouvons faire l’hypothèse qu’au-delà des raisons invoquées telles que le sentiment de subir ou le manque d’anticipation, les parents aient pu craindre une différence dans la prise en charge voire une moins bonne prise en charge qu’en hospitalisation avec hébergement. En outre, ils pourraient craindre de ne plus être pris en charge par la même équipe et d’avoir à faire à des nouveaux interlocuteurs, une nouvelle structure et/ou organisation qui pourrait être nuisible à la prise en charge de leur enfant. Nous avons vu en effet que la priorité donnée aux soins était un élément important pour plusieurs d’entre eux. Autant d’éléments qu’il serait utile de faire préciser et qui pourraient faire l’objet d’une étude complémentaire.
Cela se justifie d’autant plus que ces éléments de discours s’inscrivent dans une certaine ambivalence voire contradiction avec le sentiment de satisfaction générale exprimée et les nombreux verbatims exprimant le sentiment de vie facilitée avec l’HAD, le soulagement et le soutien ou encore l’appréhension de l’arrêt de l’HAD. En effet, ce dernier sous-thème a été souligné par plusieurs participants confortant l’idée qu’une fois passée l’appréhension et le besoin d’adaptation, au moment de la mise en place de l’HAD, la préférence pour les soins à la maison semblait l’emporter.
Enfin, nous avons aussi noté que des éléments ressortis de précédentes études étaient absents du discours des participants. C’est le cas par exemple, du sentiment des parents d’avoir tendance à adopter un rôle de soignant dans ce contexte [8]. En effet, dans notre étude, au contraire, certains parents ont exprimé leur préférence pour faire les soins eux-mêmes et ceux notamment dans une préoccupation de sécurité maximale. Pour ceux qui ne se sont pas exprimés en ce sens, ils ont plutôt mis en évidence la compétence des soignants et la qualité des soins sans évoquer leur éventuel rôle de soignant. Toutefois, le point commun avec les éléments relevés par la littérature est la nécessité de préparer les parents à une plus grande autonomie en vue de la fin de l’HAD [7], ce qui est d’ailleurs un des objectifs de l’HAD en effectuant un lien hôpital/ville. En effet, si tel était plus le cas, sans doute que les parents auraient un peu moins d’appréhension vis-à-vis de la fin de celle-ci et cela permettrait de diminuer leur sentiment de se retrouver « seuls à gérer ». Ils associent cette appréhension à perte de l’aide et du soutien que leur confère cette organisation.
Les résultats obtenus, bien qu’intéressants doivent être interprétés avec vigilance eu égard à la petite taille de l’échantillon et au recrutement des participants au sein d’une seule et même structure présentant ainsi le risque d’un biais de désidérabilité sociale. Par ailleurs, une des limites de l’étude réside dans le fait que la passation des entretiens et la codification ont été réalisés par le même personne.
Malgré quelques limites, cette étude a permis d’éclairer l’expérience des parents d’enfants hospitalisés en HAD, et notamment la satisfaction importante exprimée. Il en ressort un sentiment de sécurité et d’amélioration de l’organisation de vie des parents. Cette étude laisse également entrevoir une nécessité de réflexion sur la temporalité des acteurs (hôpital conventionnel, HAD, patients et parents), et un besoin d’accompagner au mieux les périodes de transition. Sur la base de ces premiers résultats, nous pourrions suggérer, une orientation intéressante pour la recherche future qui serait l’élaboration d’une étude plus vaste et prospective qui permettrait de confirmer ou d’infirmer ces résultats et d’explorer davantage certains aspects en particulier ceux sur la représentation négative de la mise en place de l’HAD.
Remerciements/Acknowledgment: Nous remercions grandement tous les parents qui ont accepté de participer à cette étude.
Financements/Funding Statement: Cette recherche n’a bénéficié d’aucune subvention spécifique.
Contributions des auteurs/Author Contributions: Les auteurs confirment leur contribution à l’article comme suit : conception et design de l’étude : Cécile Flahault, Camille Baussant-Crenn, Jérémy Martin et Laure Salomé, collecte des données : Laure Salomé, analyse et interprétation des résultats : Laure Salomé, préparation du projet de manuscrit : Laure Salomé. Tous les auteurs ont examiné les résultats et approuvé la version finale du manuscrit.
Disponibilité des données et du matériel/Availability of Data and Materials: Contacter l’auteur principal: lauresalome@hotmail.com.
Avis éthiques/Ethics Approval: Une note d’information a été transmise aux participants en amont leur précisant l’ensemble de leurs droits. Un formulaire de consentement leur a également été adressé à signer avant le début de l’inclusion. De plus, Ce projet d’étude a fait l’objet d’une présentation aux praticiens de l’HAD et à l’équipe en charge des projets de recherche afin d’obtenir un avis éthique, et a été validé.
Conflits d’intérêt/Conflicts of Interest: Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts à signaler concernant la présente étude.
Références
1. Mauro L. Dix ans d’hospitalisation à domicile (2006–2016). Les dossiers de la DREES. 2017;23:3–15. [Google Scholar]
2. Agence technique de l’information sur l’hospitalisation. Hospitalisation à domicile : chiffres clés. 2021. Repéré à : www.atih.sante.fr/sites/default/files/public/content/2554/atih_chiffres_cles_had_2019_v2.pdf [Accessed 2021]. [Google Scholar]
3. Benzaqui M, Moreau-Gaudry I, Bertrand A, Gatbois E. État des lieux de l’activité pédiatrique en hospitalisation à domicile (HAD) en France. Perfectionnement en Pédiatrie. 2019;2(2):143–51. doi:10.1016/j.perped.2019.04.007. [Google Scholar] [CrossRef]
4. Institut national du cancer. Les cancers chez l’enfant ; 2021. Repéré à : www.e-cancer.fr/patients-et-proches/les-cancers/les-cancers-chez-l-enfant/les-cancers-de-l-enfant [Accessed 2021]. [Google Scholar]
5. Institut national du cancer. La stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021–2030; 2021. Repéré à : www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Strategie-de-lutte-contre-les-cancers-en-france/La-strategie-decennale-de-lutte-contre-les-cancers-2021-2030 [Accessed 2021]. [Google Scholar]
6. Oppenheim D. L’enfant et sa famille. In: Cancer : comment aider l’enfant et ses parents. Paris: De Boeck Supérieur; 2010. p. 11–35. [Google Scholar]
7. Voléry I, Schrecker C. Quand la mort revient au domicile. Familles, patients et soignants face à la fin de vie en hospitalisation à domicile (HAD). Rev int francophone d’anthropologie de la santé. 2018;17(17):1–17. doi:10.4000/anthropologiesante.3681. [Google Scholar] [CrossRef]
8. Mougel S. Se coordonner avec les parents en hospitalisation pédiatrique à domicile : enrôler les parents pour limiter la médicalisation du domicile. Rev int de l’éducation familiale. 2020;48:87–109. [Google Scholar]
9. Stevens B, McKeever P, Law MP, Booth M, Greenberg M, Daub S, et al. Children receiving chemotherapy at home : perceptions of children and parents. J Pediatr Oncol Nurs. 2006;23:276–85. [Google Scholar] [PubMed]
10. Hansson H, Kjærgaard H, Johansen C, Hallström I, Christensen J, Madsen M, et al. Hospital-based home care for children with cancer : feasibility and psychosocial impact on children and their families. Pediatr Blood Cancer. 2013;60:865–72. [Google Scholar] [PubMed]
11. de Zen L, Del Rizzo I, Ronfani L, Barbieri F, Rabusin M. Safety and family satisfaction of a home-delivered chemotherapy program for children with cancer. Ital J Pediatr. 2021;47:1–8. [Google Scholar]
12. Paillé P, Mucchielli A. L’analyse thématique. In: L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales. vol. 4e. Paris: Armand Colin; 2016. p. 235–312. [Google Scholar]
13. Tong A, Sainsbury P, Craig J. Consolidated criteria for reporting qualitative research (COREQa 32-item checklist for interviews and focus groups. Int J Qual Health Care. 2007;19(6):349–57. doi:10.1093/intqhc/mzm042. [Google Scholar] [PubMed] [CrossRef]
14. Gedda M. Traduction française des lignes directrices COREQ pour l’écriture et la lecture des rapports de recherche qualitative. Kinésithérapie, la Revue. 2015;15(157):50–4. doi:10.1016/j.kine.2014.11.005. [Google Scholar] [CrossRef]
15. McCaffrey CN. Major stressors and their effects on the well-being of children with cancer. J Pediatr Nurs. 2006;21(1):59–66. doi:10.1016/j.pedn.2005.07.003. [Google Scholar] [PubMed] [CrossRef]
Cite This Article
This work is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License , which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.