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ARTICLE
Pair-aidance en Oncologie : Etude Qualitative de la Perception des Soignants dans un Centre de Lutte Contre le Cancer
Peer-Support in Oncology: A Qualitative Study of Caregivers Perception in a Cancer Center
Psycho-Oncology Unit, Centre Léon Bérard, Lyon, 69373, France
* Corresponding Author: Guilhem Paillard-Brunet. Email:
(This article belongs to the Special Issue: Promoting Health Democracy in Oncology
Promouvoir la démocratie sanitaire en oncologie)
Psycho-Oncologie 2024, 18(1), 23-31. https://doi.org/10.32604/po.2023.047888
Received 03 February 2023; Accepted 29 October 2023; Issue published 25 March 2024
RÉSUMÉ
Cette étude qualitative visait à recueillir chez les professionnels d’un Centre de Lutte Contre le Cancer les attentes et les réticences qu’ils pouvaient avoir vis-à-vis des interventions de pair-aidance. Des entretiens individuels semi-structurés ont été menés auprès de 12 professionnels issus de professions différentes. Une retranscription intégrale des entretiens puis une analyse thématique de leur contenu ont été conduites. L’analyse des données a permis de faire émerger trois thèmes principaux quant aux attentes exprimées par les soignants : le besoin d’un accompagnement plus soutenant des patients, rompre leur isolement dans la maladie et enrichir le réseau de soins. L’analyse a également permis de faire émerger trois thèmes principaux quant aux réticences exprimées par les soignants : les freins liés à l’intervention des pairs-aidants, les enjeux psychologiques de cette intervention et les freins institutionnels à l’implémentation d’interventions de pair-aidance. Cette étude montre que la pair-aidance permettrait de répondre à des attentes des professionnels mais que son implémentation doit être pensée au vu des réticences qu’ils peuvent exprimer.Abstract
This study aimed to gather healthcare professionals’ expectations and reluctance toward peer support in a cancer center. Semistructured interviews were conducted among 12 professionals, recruited in different professions. The interviews were fully transcribed, and a thematic analysis was then conducted. Of the data analysis, three main themes about professionals’ expectations emerged: the need for the strongest support of the patients, to break the isolation in the sickness, and to enhance the care system. Three main themes also emerged from the data analysis about professionals’ reluctances: the limitations related to the intervention of the peer-workers, the psychological issues of the relationship, and institutional barriers to the implementation of peer-support interventions. Our study shows that peer support could be a response to the expectations of healthcare professionals’, but its implementation should consider their reluctance.MOTS CLÉS
Keywords
La commission de santé mentale du Canada propose une définition de la pair-aidance comme étant « une relation d’entraide qui se crée entre deux personnes ayant un vécu expérientiel commun ». Elle vise donc à mettre en œuvre des interventions centrées sur le vécu expérientiel de la maladie et du parcours de rétablissement de patients touchés par une même pathologie.
Si ces interventions de pair-aidance se développent depuis plusieurs années en France dans le domaine de la santé mentale, leur recours dans les pathologies somatiques chroniques est encore peu fréquent. En cancérologie, les interventions de pair-aidance ont été associées à un niveau de satisfaction élevé des participants qui en bénéficiaient.
Notre étude qualitative a pour objectif d’évaluer les connaissances des soignants d’un Centre de Lutte Contre le Cancer (CLCC) sur la pair-aidance et de cerner leurs attentes et leurs réticences à ce type d’intervention.
En cancérologie, les interventions de pair-aidance ont été associées à un niveau de satisfaction globale élevé chez les patients qui en ont bénéficié [1]. Ces interventions leur sont ainsi bénéfiques en ce qu’elles permettent une réduction de leur anxiété, le partage de stratégies de coping et apportent un soutien à leurs familles [2]. Elles pourraient également permettre une amélioration de l’alliance et de l’adhésion thérapeutiques, comme le suggère une étude conduite auprès de patients souffrant de cancers colo-rectaux [3], où les interventions de pair-aidance étaient associées à une plus grande acceptation de la chimiothérapie ainsi qu’à de meilleures attitudes face à celle-ci, en aidant notamment les participants dans la prise de décision thérapeutique.
Certaines barrières menacent cependant l’efficacité de ces interventions, comme la temporalité de l’adressage des patients qui peut parfois être délicate à juger [1]. Des difficultés existent également en lien avec la forme des interventions : les dispositifs groupaux exposent à la difficulté de gestion d’éventuels conflits ou le décès d’un membre [1] ; les dispositifs à distance sont sensibles au manque de ressources informatiques de certains patients et peuvent voir le contenu des informations délivrées difficile à contrôler [4]. Par ailleurs, une étude conduite auprès de patients souffrant de cancer du sein, n’a pas mis en évidence d’amélioration significative de leur qualité de vie [5].
Les études conduites sur la pair-aidance dans le cadre d’autres pathologies chroniques que le cancer, renseignent également sur les points de vigilance lors de l’implémentation de ces interventions dans les systèmes de soins. Des études réalisées dans le cadre de pathologies psychiatriques [6,7] ont montré qu’il pouvait être de difficile pour le pair-aidant d’adopter une relation thérapeutique ajustée, qu’il pouvait se sentir isolé au sein des équipes de soins, qu’il pouvait lui être difficile de travailler dans un lieu où il avait été précédemment pris en charge, ou que le manque de connaissance des concepts de pair-aidance chez les soignants pouvait compromettre l’efficacité de son intervention. Le sentiment d’isolement est également retrouvé dans une étude conduite auprès de patients porteurs de diabète de type 2 [8] et la difficulté à adopter une relation thérapeutique ajustée dans le cadre d’interventions auprès de patients souffrant de maladie rénale chronique [9].
Dans ce contexte, des facteurs facilitant l’implémentation émergent : une sélection attentive et une formation des pairs-aidants, dans des études réalisées auprès de patients porteurs de diabète de type 2 [8], dans le cadre d’une étude conduite auprès de travailleurs exposés à un risque traumatique élevé [10], ainsi qu’auprès de patients souffrant de douleurs chroniques [11]. La mise en place d’une communication efficace autour des nouveaux dispositifs a également été aidante dans le cadre des pathologies rénales chroniques [9] et de pathologies psychiatriques [12].
Aussi, compte tenu de l’impact que les interventions de pair-aidance ont montré auprès des patients pris en charge en oncologie et des données issues de recherches ayant étudié leur implémentation dans des pathologies chroniques autres que le cancer, cette étude s’est fixé pour objectif principal de recueillir la perception de soignants travaillant dans un Centre de Lutte Contre le Cancer en France, afin de prendre en considération leurs attentes et leurs réticences quant à une éventuelle implémentation future.
Les participants de l’étude étaient des professionnels de santé travaillant dans un CLCC auprès des patients. Contactés par mail, ils étaient recrutés selon la méthode du Purposive Sampling [13] qui permet de sélectionner des participants susceptibles d’apporter le plus d’informations au phénomène étudié. Ils étaient ainsi volontairement issus de professions différentes, avaient des rôles dans la prise en charge divers et leur ancienneté en cancérologie était variée.
Pouvaient être inclus des professionnels du centre dans lequel l’étude a été conduite, en contact avec les patients souffrant de cancer. Il pouvait s’agir de professionnels exerçant dans le domaine des soins oncologiques (médecins, paramédicaux) ou exerçant dans les soins de support (médecins, paramédicaux, psychologues, assistants sociaux).
Étaient exclus les professionnels n’étant pas directement impliqués dans la prise en charge des patients.
Les données ont été recueillies au moyen d’entretiens semi-directifs, pour lesquels une grille d’entretien était rédigée pour explorer leur connaissance préalable, leurs attentes et leurs réticences à la pair-aidance (Fig. 1).
Les entretiens étaient intégralement enregistrés puis anonymisés avant d’être retranscrits de manière sociologique, qui est une retranscription exacte du langage de la personne interrogée, prenant en compte les facilités de langage et les expressions non verbales (silence, rire, hésitations, etc.). Les participants ont tous donné leur accord oral pour participer à l’étude.
Le principe de « suffisance théorique » [14] a été appliqué pour permettre la garantie théorique de l’interruption du recueil des données. Suivant ce principe, le recueil de données et l’analyse qui s’en fait au fur et à mesure s’achèvent lorsque les chercheurs estiment que les thèmes obtenus offrent un cadre explicatif suffisant des données recueillies. L’étude a donc été arrêtée lorsque les thèmes retrouvés permettaient d’expliquer les données collectées et que la réalisation de deux entretiens subséquents n’apportait pas de nouveau thème à l’analyse.
Une analyse thématique de contenu a été conduite, utilisant une approche inductive, selon laquelle chaque verbatim apporte de nouvelles données [15]. Elle a ainsi permis de faire émerger des thèmes de base, de bas niveau et émanant directement des données recueillies ; des thèmes organisateurs d’ordre moyen ; et des thèmes généraux, permettant de rendre compte de l’entièreté des données.
Cette méthode se fonde sur une lecture détaillée de la retranscription intégrale des divers entretiens réalisés et des données brutes qui s’y trouvent. De ces lectures détaillées des données brutes, le chercheur fait émerger des mots-clés, traduisant les récurrences dans les entretiens, qu’il regroupe en thèmes de base ; regroupe par la suite les thèmes de base en thèmes organisateurs ; et rassemble enfin les thèmes organisateurs en thèmes généraux.
Les entretiens ont tous été réalisés par le même chercheur. Une triangulation des chercheurs a été effectuée : l’analyse des entretiens a été conduite par deux chercheurs séparément, les résultats ont ensuite été comparés pour affiner l’analyse. Les désaccords ont été tranchés par consensus.
Caractéristiques des participants (Tableau 1)
L’étude a inclus 12 participants parmi lesquels 9 femmes. La population était constituée de 5 médecins, 3 infirmiers, 1 psychologue et 3 assistants sociaux. La tranche d’âge la plus représentée était celle des 35–50 ans (7 participants) et l’ancienneté dans la prise en charge de patients souffrant de cancers était de 11,6 ans en moyenne.
Les connaissances préalables du concept et des interventions de pair-aidance étaient extrêmement variables parmi les professionnels rencontrés et seuls deux participants avaient déjà expérimenté le travail avec des pairs-aidants.
Se basant sur leurs propres connaissances préalables, ou après une succincte définition du concept de pair-aidance si nécessaire, les participants montraient un a priori positif de ce type de dispositif ; aucun participant n’a fait part de son opposition d’emblée.
Attentes exprimées par les soignants (Fig. 2)
L’analyse a retrouvé trois thèmes généraux quant aux attentes que les soignants ont exprimées vis-à-vis de la pair-aidance :
• Le besoin d’un accompagnement plus contenant ; comportant trois sous-thèmes organisateurs : un soutien informationnel, un accompagnement dans le quotidien et l’apport unique de l’expérience vécue.
• Rompre l’isolement dans la maladie ; comportant deux sous-thèmes organisateurs : une aide à des populations spécifiques et un soutien psychologique.
• Enrichir le réseau de soins ; comportant trois sous-thèmes organisateurs : des manques persistants, le besoin de décharger certaines professions et renforcer le lien ville-hôpital.
Thème 1 : Besoin d’un accompagnement plus contenant.
Le pair-aidant est perçu comme pouvant apporter un soutien en répondant à des questions qui ne peuvent être posées aux soignants : « Le patient qui avait ses 36 questions qu’il s’était mis dans la tête dans la semaine, il en pose une sur 36, des fois il en pose aucune. Parce qu’il a pas eu le temps, parce qu’il y a plus pensé, parce qu’il a eu peur. » (Christine, psychologue).
Il pourrait fournir au patient des astuces que les soignants n’ont pas toujours : « Sur des tuyaux (…) Il y a des fois des choses qu'on ignore et les aidants entre eux parfois développent des compétences et des astuces que nous, on n'a pas forcément. » (Claire, assistante sociale).
Le pair-aidant pourrait être une aide dans la gestion des traitements et leurs effets secondaires : « c’est quelqu’un auprès de qui le patient pourra peut-être plus poser des questions autour d’expériences, d’effets secondaires » (Christine, psychologue) ou sur le plan social : « je verrais bien aussi des gens qui ont réussi à se réinsérer professionnellement parce que c'est un sacré parcours du combattant » (Clémence, infirmière).
Cette aide serait plus facilement mobilisable sur des questions relevant de l’intime : « des choses un peu personnelles dont on pourrait pas forcément parler (…) avec les problèmes sexuels qui sont liés, et cætera » (Clémence, infirmière).
L’accompagnement par des pair-aidants répondrait à une demande perçue chez les patients : « je trouve que c’est plutôt bien parce que les gens sont demandeurs, globalement, de connaître des gens qui ont vécu la même chose qu’eux. » (Pascale, infirmière).
La réassurance par le biais de l’expérience vécue est perçue comme plus efficace : « je pense qu'il y a une réassurance qui est sans doute plus importante de quelqu'un qui a vécu la même chose. Je pense que c'est vraiment différent » (Claire, assistante sociale).
Thème 2 : Rompre l’isolement dans la maladie.
Certaines populations sont citées comme pouvant bénéficier en priorité de l’accompagnement par un pair-aidant, comme les adolescents ou jeunes adultes, dont les problématiques sont spécifiques : « les jeunes, parce que je pense que effectivement ils ont un peu plus de questions à un âge où ils sont au début de leur vie professionnelle, de leur vie amoureuse, on est sur d’autres problématiques à cet âge-là » (Anne, assistante sociale) ; les personnes isolées « Je trouve que les gens qui sont assez isolés, soit isolés socialement soit géographiquement, et qui ont pas forcément des moyens de communication (…), je pense que c'est là aussi un système (…) qui pourrait être intéressant » (Clémence, infirmière) ; mais aussi les aidants : « je verrais bien aussi en direction des aidants parce que les aidants souvent sont quand même oubliés dans l'histoire, il y en quand même qui portent énormément sur le dos » (Clémence, infirmière).
Le pair-aidant pourrait partager des stratégies de coping, notamment pour gérer la peur de la récidive : « la gestion aussi très concrète peut-être de l'impact psychologique, d'aider le patient à passer à autre chose, à laisser un peu de côté la santé pour ses propres projets personnels » (Marine, médecin) ; permettre une amélioration de l’estime de soi : « c'est énorme en fait pour eux, de se rendre compte (…) qu’il y a plein de gens qui souffrent de de la même chose qu’[eux], qu’au niveau de l'estime d’[eux-mêmes], il se passe quelque chose » (Mathilde, infirmière).
Thème 3 : Enrichir le réseau de soins.
Les pairs-aidants permettraient de renforcer l’alliance et l’adhésion thérapeutiques : « C’est très important au niveau de l'alliance, la personne que j'ai face à moi, je sais de quoi on parle et je peux me mettre à son niveau. » (Mathilde, infirmière) ; de pallier le manque de disponibilité des soignants, notamment au début de la prise en charge : « au moment où il y a cette annonce qui tombe, où il y a tous ces rendez-vous qui s’enchainent et la personne a souvent à ce moment-là plein de questions (…) et c’est souvent sur ces temps-là où on n’a pas ces temps-là de discussion avec le patient » (Pascale, infirmière) ; ou sur les phases de latence liées à la chronicité de la maladie : « la question de la compliance au long terme, je trouve que ça les soignants on est non seulement mal formés pour le faire, mais en plus, il y a un moment où c’est quelque chose qu’on ne peut pas suivre » (Pascale, infirmière).
Les pairs-aidants permettraient de décharger certaines professions : « c'est comblé par d'autres professions actuellement mais si on rajoute [le pair-aidant], ça libérerait du temps pour d'autres qui se consacreraient mieux à ce qu’ils doivent faire » (Julien, médecin) et de faire un lien avec les professionnels de la santé mentale.
Le pair-aidant pourrait permettre de renforcer et d’enrichir le lien ville-hôpital : « c'est assez fréquent que des familles d'un patient ou un patient nous fassent découvrir des choses aussi, en termes d'aide à l'accompagnement, ils ont développé des moyens de recherche, des moyens de se renseigner que nous on n'a pas forcément mis en œuvre dans le quotidien » (Jules, assistant social) ; « il manque une étape entre nous et la ville » (Jules, assistant social).
Freins et réticences exprimés par les soignants (Fig. 3)
Les entretiens mettent en évidence certaines réticences, selon trois thèmes généraux :
• Les freins liés à l’intervention du pair-aidant ; comportant trois sous-thèmes organisateurs : la temporalité de l’intervention, la formation du pair-aidant et la valorisation de son action.
• Les enjeux psychologiques ; comportant deux sous-thèmes organisateurs : l’identification et la stabilité du pair-aidant
• Les freins institutionnels ; comportant trois sous-thèmes organisateurs : l’intégration dans les équipes, les contraintes logistiques et les habitudes de soins.
Thème 1 : Les freins en lien avec l’intervention des pairs-aidants.
La temporalité de l’intervention des pairs-aidants est un facteur limitant important pour les professionnels interrogés, puisque l’accompagnement par un pair-aidant paraît difficilement envisageable dans les phases aiguës de la maladie ou dans le cas de cancers présentant des pronostics sombres ou d’évolution rapide : « Dans certains domaines, je trouve ça un peu chaud, en pneumo par exemple, on sait tous que c'est un cancer qui est pour beaucoup grave et qui a un sombre pronostic. Pareil pour les sarcomes, (…) tout le monde sait que le pronostic, à court terme ou moyen terme, est péjoratif » (Clémence, infirmière).
Les professionnels mettent également en avant le besoin d’une formation de ces pairs-aidants, sur la relation d’aide et la gestion des situations difficiles : « une préparation par rapport aux notions de la relation d’aide toute basique, comment gérer, comment faire face à des patients qui peuvent être agressifs » (Christine, psychologue) ; et sur le contenu des informations qui seront délivrées au patient : « si le pair-aidant son but c'est de promouvoir des pratiques qui sont alternes, pas forcément prouvées, onéreuses ou autres, je trouve que c'est un échec parce que il a la légitimité d'en parler et il va gagner la confiance d'un patient » (Marine, médecin).
Les professionnels s’interrogent enfin sur la manière de valoriser l’expérience : « comment valoriser l'expertise de quelqu'un, comment évaluer ses compétences pour être accompagnant d'une autre personne (…) ? C'est très subjectif en fait, mais l'expérience à elle seule, est-ce qu'elle rend quelqu'un expert ? Je ne suis pas sûre » (Mathilde, infirmière) ; de la professionnaliser « si c’est vraiment un métier, euh, paramédical, médical ou pseudo-paramédical, on va créer les mêmes filtres que ceux qu’il y a actuellement » (Pascale, infirmière) et de la rémunérer « Et puis la rémunération, de voir comment est-ce qu'on rémunère ces gens pour le service rendu, parce que pour moi, il y en a un et ça a du sens » (Mathilde, infirmière).
Thème 2 : Les enjeux psychologiques.
Les professionnels interrogés relèvent le risque que peut engendrer une identification trop importante de la part des pairs-aidants : « je pense qu’il faut vraiment se méfier de de l'excès d'identification » (Marine, médecin), et : « dans le cancer où ce sont des maladies difficiles, s’il y a un investissement émotionnel trop important (…), ce n'est pas forcément très aidant (…), ça risque au contraire d'être anxiogène » (Carole, médecin) ; ils craignent aussi la prise de distance par rapport au lieu de soins où le pair-aidant a lui-même été pris en charge, qui peut être délicate : « Ce n'est pas forcément simple (…), encore une fois, je pense que la majorité, une fois que la maladie, c'est fini (…), n'a pas envie de revenir » (Claire, assistante sociale) ; ou la confrontation à la récidive d’un patient, qui pourrait le mettre en difficulté : « le jour où il est confronté à quelqu’un qu’il a accompagné, qui ne guérit pas et qui décède de sa maladie, qu’est-ce qui est prévu pour le patient expert pour qu’il puisse se remettre de cette relation qu’il va avoir construite avec un patient ? » (Pascale, infirmière).
La stabilité psychologique des pairs-aidants questionne également, faisant pointer la nécessité de l’absence de troubles psychologiques ou psychiatriques préexistants : « Les limites évidentes, c'est les patients qui sont un peu limite justement sur le plan psychologique, (…) ceux-là je pense qu'il faut vraiment pas qu'ils fassent partie des patients experts » (Pauline, médecin) ; et la nécessité d’un encadrement et d’un accompagnement de leur action : « ces pairs-aidants, euh, ben comme pour le bénévolat, d’ailleurs, je pense qu’il faudrait un minimum, (…) un suivi de formation. C’est-à-dire des groupes, une supervision » (Christine, psychologue).
Thème 3 : Les freins institutionnels.
Les pairs-aidants peuvent se heurter à des difficultés à l’intégration dans les équipes de soins : « il y aura une grande rivalité avec les bénévoles, oui. (…) il faudra bien déterminer effectivement ce qui différencie le profil du bénévole et le profil du pair-aidant » (Christine, psychologue) et « il ne faut pas que les gens les perçoivent comme des personnes qui viendraient leur prendre leur travail (…) Il faut vraiment que ce soit perçu comme de l’huile dans les rouages » (Mathilde, infirmière).
Cela pose la question du statut du pair-aidant face au secret médical : « C'est vrai que effectivement le statut est un peu différent forcément des soignants, et la question du secret se pose » (Clémence, infirmière).
D’un point de vue logistique, le manque de place est fréquemment évoqué comme un frein à l’implémentation : « quelque chose de plus terre à terre mais c'est les places (rires) (…) Parce qu'on court tous après des salles de consultation et chez nous comme ailleurs, on commence à être un peu à l'étroit » (Pauline, médecin), tout comme le temps que les professionnels pourraient y consacrer : « le frein principal par rapport à ça, c'était cette question du temps, du temps à consacrer à ça, à mettre les gens en relation » (Jules, assistant social) ainsi que leur disponibilité pour la gestion et l’encadrement de ces pairs-aidants, « [il] va falloir trouver des gens qui ont le temps de faire ça, de s'informer aussi » (Claire, assistante sociale).
Enfin, le manque de culture de l’horizontalité dans les soins en France est craint : « cette notion d'horizontalité on ne l'a pas du tout, on travaille de façon encore très verticale et on n'est pas sur ce mode collaboratif » (Mathilde, infimière), tout comme la difficulté de faire évoluer les habitudes : « Comme toute institution, parfois, c'est dur de faire bouger les habitudes » (Jules, assistant social).
Principaux résultats et importance de l’étude
Compte tenu du bénéfice des interventions de pair-aidance qui a été montré auprès de patients suivis en oncologie et du rôle central que jouent les professionnels dans son implémentation dans d’autres pathologies chroniques, il paraissait important de recueillir la perception des professionnels en oncologie, dans l’optique d’une intégration future dans les soins. L’objectif principal de cette étude était donc d’analyser en profondeur la perception de la pair-aidance auprès de professionnels d’un centre de lutte contre le cancer ; elle s’est donc attachée à recueillir, au moyen d’entretiens individuels, leurs attentes puis leurs réticences.
L’analyse des données recueillies au cours de ces entretiens a permis de mettre en évidence trois thèmes principaux concernant les attentes des professionnels : la nécessité d’un accompagnement plus contenant des patients, rompre l’isolement des patients dans la maladie et enrichir le réseau de soins. De la même manière, les données recueillies concernant leurs réticences ont fait ressortir trois thèmes principaux : les limites liées à l’intervention du pair-aidant, les enjeux psychologiques d’une telle relation et les freins institutionnels à sa bonne organisation.
Les données retrouvées dans cette étude sont en cohérence avec les données précédemment publiées dans la littérature. Le besoin d’un soutien informationnel et émotionnel évoqué par les participants de cette étude est cohérent avec les études conduites auprès de patients souffrant de cancers avancés [16] et de patients souffrant de cancers colo-rectaux [3], cette dernière étude montrant également son impact sur le renforcement de l’alliance et de l’adhésion thérapeutique, besoin aussi exprimé dans notre étude. La préoccupation concernant la sélection et la formation des pairs-aidants est également cohérente avec ce qui a pu être retrouvé chez les patients souffrant de cancer du sein [5], comme dans le cadre de guidelines proposées pour des travailleurs exposés à un haut risque de traumatisme [10]. Les réticences en lien avec l’institution enfin, sont aussi en cohérence avec la crainte d’une difficulté d’intégration des pairs-aidants dans les équipes à cause d’une mauvaise définition de leur rôle ou un défaut de communication institutionnelle, comme cela a été décrit dans le cadre de pathologies psychiatriques [6].
Les données mises en évidence dans notre étude sont également en cohérence avec une étude similaire, publiée peu de temps après les entretiens conduits pour notre étude et qui recueillait les perceptions de la pair-aidance d’infirmières en oncologie [17]. Les besoins qui y ont été mis en évidence sont la promotion du bien-être psychosocial des patients au travers du contact social et du renforcement des ressources émotionnelles ; leurs craintes sont celles d’un manque d’habitude d’orientation vers ces dispositifs, de leur manque de disponibilité, de la crainte de capacités de coping insuffisantes ou d’un doute sur la fiabilité des informations données.
Notre étude a enfin permis de faire surgir des éléments plus spécifiques. Les préoccupations concernant les enjeux émotionnels suscités par cette nouvelle relation d’aide paraissent par exemple très liées à la spécificité du cancer. La perception d’un défaut de culture de l’horizontalité - l’organisation des soins étant perçue par certains comme verticale et ne favorisant pas la collaboration avec d’autres approches telles que la pair-aidance - paraissent liés à une forme de culture du soin en France. Enfin, cette étude a probablement fait émerger des problématiques relevant de fonctionnements locaux, comme la nécessité d’étoffer le réseau de soins autour des patients ou le besoin de soulager certains professionnels assumant ce rôle par défaut.
Le choix d’une méthodologie qualitative pour cette étude a permis de recueillir les opinions des participants en profondeur, au cours d’entretiens où ils ont pu exprimer en détails et justifier leurs opinions. Les résultats qui émanent donc de cette analyse sont précieux pour la construction future d’éventuelles interventions de pair-aidance en oncologie, afin qu’elles répondent aux attentes qu’ils pu exprimer et qu’elles soient vigilantes à leurs réticences.
D’autre part, le choix d’inclure des participants exerçant des professions différentes auprès des patients et ayant un rôle divers dans leur prise en charge a permis de recueillir de manière large les opinions des professionnels impliqués.
Cette étude est une étude monocentrique, ses résultats ne peuvent donc pas être généralisés à d’autres établissements prenant en charge des patients souffrant de cancer, en France ou ailleurs, où les cultures et pratiques des soins peuvent être différentes.
Les résultats peuvent par ailleurs être affectés par plusieurs biais. Un biais de représentation tout d’abord, puisque le recrutement des participants n’a pas pu être représentatif de toutes les professions concernées ; il n’a par exemple pas été possible d’interroger des cadres de santé, dont la perception paraît capitale dans l’optique d’intégrer des pairs-aidants dans les systèmes de soins. Un biais de désirabilité sociale peut aussi affecter nos résultats puisque les participants peuvent avoir répondu favorablement aux demandes d’entretien car ayant un a priori positif sur les interventions de pair-aidance. L’appartenance à l’institution du chercheur ayant conduit ces entretiens peut enfin avoir également biaisé certaines de leurs réponses.
Cette étude qualitative a permis d’étudier la perception de la pair-aidance chez 12 professionnels de santé en oncologie. Leurs attentes concernent la mise en place d’un suivi plus contenant, la rupture de l’isolement dans la maladie et l’enrichissement du réseau de soins. Leurs réticences concernent, elles, la difficile sélection des pairs-aidants, les difficultés propres au cancer et les difficultés institutionnelles. Ces résultats sont cohérents avec les données de la littérature et permettent d’apporter une vision plus précise de ce que des interventions de pair-aidance pourraient apporter dans le contexte particulier de l’oncologie.
Ce travail préalable à la construction de futures interventions de pair-aidance permet donc de mieux saisir les missions qui doivent être ciblées, en réponse aux attentes que les soignants ont exprimées, et de tenir compte de leurs réticences pour faciliter leur mise en place. D’autres travaux pourront être nécessaires par la suite pour étudier en profondeur la perception qu’ont les patients de ces interventions.
Remerciements/Acknowledgment: Les auteurs remercient les différents professionnels interrogés dans le cadre de cette étude pour leur disponibilité et leur contribution capitale à la valeur de ce travail.
Financements/Funding Statement: Aucun financement n’a été perçu pour la réalisation de ce travail.
Contributions des auteurs/Author Contributions: Les entretiens individuels réalisés dans le cadre de cette étude et leur retranscription intégrale ont été effectués par le premier auteur ; une analyse des données a été effectuée par chacun des deux auteurs séparément, les résultats ont ensuite été condrontés pour l’élaboration commune des différents themes. La redaction de l’article et les corrections qui y ont été apportées ont été conduites par les deux auteurs. Les corrections effectuées suite aux recommandations du comité de relecture ont été apportées par le premier auteur.
Disponibilité des données et du matériel/Availability of Data and Materials: Les données de l’étude ne sont pas rendues disponibles, afin de preserver la confidentialité des entretiens et l’anonymat des professionnels interrogés.
Avis éthiques/Ethics Approval: Not applicable.
Conflits d’intérêt/Conflicts of Interest: Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt en lien avec ce travail.
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