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ARTICLE
Des patients impliqués dans le financement de la recherche. Retour sur l’expérience inédite du groupe de travail ECLAIR du Cancéropôle CLARA
Patients Involved in Funding Research. A Look Back at the Unique Experience of the ECLAIR Working Group of Canceropole CLARA
1 Cancéropôle Lyon Auvergne-Rhône-Alpes (CLARA), Lyon, 69007, France
2 Groupe ÉCLAIR du Cancéropôle Lyon Auvergne-Rhône-Alpes (CLARA), Lyon, 69007, France
3 Conseil Scientifique de la Ligue Contre le Cancer région Auvergne Rhône-Alpes Saône et Loire, Lyon, 69008, France
4 Département Universitaire des Patients Grenoble Alpes, La Tronche, 38400, France
* Corresponding Author: Julien Biaudet. Email:
(This article belongs to the Special Issue: Promoting Health Democracy in Oncology
Promouvoir la démocratie sanitaire en oncologie)
Psycho-Oncologie 2024, 18(1), 17-22. https://doi.org/10.32604/po.2023.043536
Received 05 July 2023; Accepted 31 October 2023; Issue published 25 March 2024
RÉSUMÉ
Cet article vise à partager une expérience innovante d’organisation et de financement de la recherche ayant impliqué les premiers concernés : les patients. Le groupe de travail « ECLAIR » du Cancéropôle Lyon Auvergne-Rhône-Alpes (CLARA) a été créé en fin d’année 2020 dans le but de contribuer à l’élaboration d’un appel à projets portant sur l’expérience patient en cancérologie, ouvert en janvier 2021. Constitué au départ de 8 membres dont 7 patients, coordonné par un chef de projets du CLARA, le groupe de travail ECLAIR a activement contribué à l’écriture du cahier des charges de l’appel à projets, à l’élaboration des critères d’éligibilité des candidatures, à la révision des critères d’évaluation et de sélection des projets, et au suivi des projets lauréats. Cette expérience s’est renouvelée à deux reprises. Disposant d’une marge de liberté importante, le groupe de travail a pris deux décisions qui marquent avec force la volonté de soutenir le partenariat en recherche et l’implication active des personnes concernées : d’une part, en faisant du partenariat une condition sine qua non de l’éligibilité des dossiers de candidature. D’autre part, en procédant lui-même, après une phase d’évaluation scientifique indépendante, à la sélection des projets. Souhaitant ouvrir la « boîte noire » du partenariat, l’article présente également les modalités concrètes d’interaction entre les membres du groupe de travail, les ajustements qui ont été opérés entre les différentes éditions de l’appel à projets, et les relations entretenues avec le CLARA.Abstract
This article aims to share an innovative experience of organizing and funding research involving those most directly affected: patients. The “ECLAIR” working group of the Canceropole Lyon Auvergne-Rhone-Alpes (CLARA) was created at the end of 2020 with the goal of contributing to the development of a call for projects on the patient experience in oncology, which was launched in January 2021. Initially composed of 8 members, including 7 patients, coordinated by a project manager from CLARA, the ECLAIR working group actively participated in drafting the specifications of the call for projects, developing the eligibility criteria for applications, revising the evaluation and selection criteria for projects, and monitoring the selected projects. This experience was repeated twice. With significant freedom of action, the working group made two decisions that strongly demonstrate the commitment to supporting research partnerships and the active involvement of those affected: firstly, by making partnership a mandatory requirement for the eligibility of applications, and secondly, by conducting the selection of projects themselves, after an independent scientific evaluation phase. Seeking to shed light on the “black box” of partnership, the article also presents the concrete modalities of interaction among the working group members, the adjustments made between different editions of the call for projects, and the relationships maintained with CLARA.MOTS CLÉS
Keywords
De nombreux avantages sont prêtés à la recherche partenariale. Selon leur position sur le continuum de la recherche, l’implication des patients, des aidants, et plus largement des « personnes concernées1 », facilite la formulation de questions de recherche inédites s’attaquant aux problématiques rencontrées par les patients2. Elle autorise aussi la mise au point de protocoles de recherche davantage compatibles avec les parcours de soin, diminue le taux d’attrition (c’est-à-dire la proportion de patients sortant d’un essai clinique), éclaire l’analyse des données, et favorise la communication des résultats auprès du grand public [1–4]. La recherche partenariale est également perçue comme une démarche éthique, s’inscrivant dans un mouvement de renforcement des capacités des patients et de démocratie en santé.
Pourtant, malgré ses promesses, ses résultats et l’engouement des autorités et financeurs [3], force est de constater que des freins s’opposent au déploiement effectif de la recherche partenariale en cancérologie.
S’il n’est pas possible d’analyser ceux-ci de manière exhaustive dans le cadre de cet article, il convient de noter que les patients ont été très peu invités à intégrer les dispositifs de soutien et de financement de la recherche. En conséquence, leurs besoins n’orientent au mieux que partiellement les projets de recherche académique [5].
En cancérologie, à l’échelle régionale, le financement de la recherche est notamment assuré par sept cancéropôles labellisés par l’Institut National du Cancer (INCa). Le soutien à l’émergence de projets constitue au travers d’appels à projets (AÀP) une mission commune à tous les cancéropôles : l’objectif est de permettre aux candidats de consolider leurs projets afin de les rendre plus compétitifs aux AÀP d’ampleur nationale ou internationale. Dans ce cadre, le CLARA déploie un dispositif nommé « OncoStarter », visant à financer à hauteur de 40 000 € maximum des projets d’une durée d’un an portés par des acteurs de son périmètre, la région Auvergne-Rhône-Alpes. L’AÀP est ouvert à l’ensemble des disciplines scientifiques en lien avec le cancer et la cancérologie3.
En fin d’année 2020, le Cancéropôle Lyon Auvergne-Rhône-Alpes (CLARA) a mis en place un groupe de travail composé majoritairement de patients, dont l’objectif était de construire une édition d’OncoStarter thématisée sur « l’expérience patient ». Cette décision a notamment fait suite au retour d’expérience de l’Oncopole du Québec sur la mise en place d’AÀP ayant intégré des patients4. Ce groupe de travail (GT), d’abord dénommé « GT Expérience patient » pour reprendre l’intitulé de la thématique, s’est renommé « ECLAIR » (Expérience patient CLAra Innovation Recherche) en juin 2022. Dans cet article, par souci de clarté, nous utiliserons cette dénomination y compris pour la période précédant le mois de juin 2022. Notre objectif est d’ouvrir la « boîte noire » du partenariat [6], de présenter les missions attribuées au GT, la façon dont il s’en est saisi, ainsi que les enjeux et les perspectives qui sont les siennes désormais. Pour ce faire, nous évoquerons en particulier les travaux du GT ayant permis l’ouverture de l’édition 2021 d’OncoStarter, et nous reviendrons également sur l’activité du groupe ayant abouti à l’ouverture des éditions 2022 et 2023.
Recrutement des 8 premiers membres
Plusieurs modes de recrutement ont servi à constituer le groupe de travail. Quatre membres du groupe étaient des connaissances antérieures du Chef de Projets (CdP) du CLARA responsable de cette mission, et ont été directement approchés par lui. Ces patients étaient déjà investis dans des projets relatifs à la cancérologie, dans le domaine de la recherche ou dans le secteur associatif. Une patiente a été recommandée par une infirmière participant à un autre groupe de travail du CLARA. Cette patiente était également une connaissance préalable du CdP. Enfin, trois membres ont été invités pour représenter leur institution : France Assos Santé, fédération reconnue de représentation des patients et des usagers du système de santé ; le Département Universitaire des Patients Grenoble-Alpes (DUPGA), dont le directeur et fondateur est membre du comité de pilotage scientifique du CLARA depuis 2017 et les comités départementaux de la Ligue contre le cancer déjà partenaires du CLARA sur le dispositif OncoStarter. Ces derniers étaient représentés par la présidente du Conseil Scientifique de la Ligue région Auvergne-Rhône-Alpes et Saône et Loire.
Outre le CdP du CLARA, cette représentante était la seule personne impliquée dans le groupe qui ne l’était pas au titre d’une expérience de la maladie.
Cinq réunions ont rythmé les échanges du 2 décembre 2020 jusqu’à l’ouverture de l’AÀP, le 15 janvier 2021. Sept autres réunions ont suivi jusqu’au 16 juin 2021, date des auditions des candidats. Par la suite, les réunions ont approximativement suivi un rythme mensuel.
Le contexte de crise sanitaire a obligé à organiser l’ensemble de ces réunions en visioconférence. Ce qui pouvait apparaître comme une contrainte s’est révélé un facteur favorisant l’implication, du fait que ce format a rendu caduque les barrières spatiales, et qu’il a autorisé l’enregistrement systématique des réunions. À l’issue de celles-ci, le compte-rendu ainsi que le lien d’enregistrement étaient partagés par le CdP à l’ensemble des membres du GT.
Familiarisation avec le fonctionnement d’un AÀP
Depuis sa création, l’AÀP OncoStarter respecte un processus de sélection des dossiers habituel pour un dispositif de ce type : chaque dossier de candidature est évalué par plusieurs évaluateurs experts du domaine (chercheurs et professionnels de santé), situés hors du périmètre du CLARA, et dont l’identité demeure secrète pour les candidats et qui ne présentent aucun conflit d’intérêt avec ces derniers. Les évaluations individuelles sont compilées afin de produire un classement général. Enfin, un jury de sélection final permet de départager les dossiers les mieux classés.
Tous les patients impliqués dans le GT n’étaient pas familiers de ce type de dispositif. Les premiers échanges ont donc porté sur son fonctionnement, c’est-à-dire sur ses procédures et ses temporalités. L’un des enjeux a ainsi consisté à articuler les envies et demandes des membres du GT au fonctionnement habituel d’un tel dispositif. C’est pourquoi, si de nombreuses facettes de ce dernier ont été mises en discussion comme nous allons le voir, la procédure d’évaluations scientifiques indépendantes a été présentée par le CdP comme un impératif, dont le non-respect entraverait l’équité entre les candidats et serait susceptible d’entacher l’image de l’institution.
Inscription de l’activité du groupe dans le fonctionnement de l’institution
Le partenariat entre le GT ECLAIR et le CLARA s’est également inscrit dans un cadre institutionnel préexistant lui aussi au groupe de travail. Des comptes-rendus de l’activité du GT ont été partagés, par le CdP, avec deux des instances constituant la gouvernance du Cancéropôle, le Comité de Pilotage Scientifique (CPS), et le Directoire. Au cours des différents « allers-retours » entre ces deux instances et le GT ECLAIR, les premières n’ont jamais eu à prendre de décision contraignante vis-à-vis du second. Tout au plus quelques points de vigilance ont-ils pu être émis par le CPS, tels que la prise en compte de la souffrance que peut représenter, pour un patient partenaire impliqué dans un projet de recherche, la remémoration de certains épisodes de son expérience de la maladie.
Résultats : décisions et ajustements au cours du temps
À l’exception de la phase incontournable d’évaluations scientifiques indépendantes, la liberté donnée au GT lui a permis de discuter une très large part de la construction de l’AÀP.
Initialement invités à participer à l’élaboration d’un AÀP portant sur « l’expérience patient », la définition même de cette notion a été un enjeu et une source importante de discussion et parfois d’incompréhension lors des premiers échanges au sein du groupe. Tenant à une double acception du concept − l’expérience patient pouvant être entendue comme synonyme de savoirs expérientiels d’une part, ou comme vécu plus ou moins positif de la maladie, du système de santé et du parcours de soin d’autre part − cette incompréhension a finalement permis d’aboutir à ce qui constitue le cœur du cahier des charges de l’AÀP. En effet, ce dernier a invité les candidats à déposer des projets se saisissant de l’une ou l’autre de ces acceptions5.
Le partenariat comme condition sine qua non d’éligibilité des candidatures
La décision marquant la plus forte rupture avec les critères habituels de l’AÀP OncoStarter a consisté à rendre obligatoire le partenariat entre le porteur de projet et une ou plusieurs personnes concernées par la maladie. Le dossier de candidature a été en partie réécrit afin de demander aux candidats d’expliquer le rôle du patient ou aidant partenaire dans le projet, et en particulier son niveau d’implication et les tâches qui lui sont associées.
Ouverture aux partenariats émergents
Si les projets de candidature devaient donc s’inscrire dans une démarche partenariale, le GT ECLAIR a toutefois souhaité ouvrir l’AÀP aux porteurs n’ayant encore aucune expérience dans ce domaine. Les différentes phases du processus – dépôt du dossier écrit, audition – ont permis aux candidats se trouvant dans cette situation d’exprimer leurs difficultés à monter un tel projet, par exemple eu égard à l’identification d’un patient partenaire.
À ce titre, le GT ECLAIR a fait le choix de favoriser des projets témoignant d’une démarche sincère et réelle de partenariat.
Antérieurement à l’édition 2021 de l’AÀP OncoStarter thématisé, pour répondre aux priorités du CLARA, certaines éditions avaient pu être restreintes à un ensemble de disciplines, en particulier les sciences humaines et sociales (SHS), ou à un champ d’application (« Validation de cible thérapeutique » ou « Oncologie numérique », par exemple). Interrogé sur cette possibilité, le GT a fait le choix de l’ouverture disciplinaire la plus grande, en n’imposant aucune restriction. Ce choix répondait à l’ambition d’ouvrir l’AÀP aux sciences biomédicales, pressenties comme étant moins enclines à se mobiliser sur ce type d’AÀP que les SHS.
Afin de mesurer la réalité du partenariat de recherche entre le porteur de projet et le ou les patients ou aidants, le GT a fait le choix d’auditionner les candidats. La présence du patient partenaire était présentée aux candidats comme obligatoire. L’idée présidant à ce choix tient au caractère oral et dynamique de l’audition, perçue comme permettant d’identifier les situations où le patient n’aurait qu’un rôle secondaire au sein du projet de recherche. Outre les questions directes adressées aux chercheurs et aux patients, et permettant d’identifier ce que le GT a pu qualifier de « patient alibi » ou « patient marketing », les auditions permettent également d’apprécier la dynamique des relations entre les partenaires (qui parle ? À quel moment ? Pour dire quoi ?).
La sélection finale des projets lauréats a été entièrement confiée aux patients membres du GT et mobilisés lors des auditions. La personne représentant la Ligue contre le Cancer n’étant pas impliquée dans le GT au titre d’une expérience patient, sa voie fut consultative. Quant au CdP du CLARA, s’il a pu fournir des renseignements d’ordre technique relatifs à la gestion des projets OncoStarter, il n’a pas participé à la prise de décision.
Lors de la première année, les auditions ont porté sur 7 dossiers de candidatures, sur 14 reçues (les 7 autres dossiers ayant été éliminés suite aux évaluations scientifiques). La seconde année les auditions ont porté sur les 5 dossiers de candidatures reçues par le Cancéropôle. La troisième année, les auditions ont porté sur 4 dossiers, parmi les 7 reçus.
Ajustements entre le 1e et le 2e AÀP
Le GT a opéré trois ajustements entre les éditions 2021 et 2022 de l’AÀP, tous relatifs à la tenue des auditions. Le premier ajustement a consisté à nous doter d’une grille de questions visant à couvrir l’ensemble des thématiques dont l’évaluation paraissait nécessaire. Si les auditions de l’AÀP 2021 avaient été menées sans grille, de façon à favoriser la spontanéité des échanges entre le jury et les candidats, le groupe a unanimement estimé utile de modifier cette pratique, tant pour des raisons d’efficacité − être certain d’aborder toutes les dimensions voulues − que pour des raisons éthiques − placer tous les candidats dans une situation équivalente.
Le deuxième ajustement a consisté à ne pas organiser l’ordre de passage des candidats en fonction de leur classement lors de la première phase (évaluations scientifiques). Au cours des auditions de 2021, cette organisation avait en effet été mise en place par le CdP. Suite aux observations du GT, estimant pouvoir être influencé par celle-ci, l’ordre de passage des candidats a été établi de façon aléatoire lors des éditions suivantes.
Enfin, le troisième ajustement a porté sur la préparation des candidats à l’audition. En effet, lors de la première série d’auditions, nombre de candidats ont souhaité défendre la pertinence même d’une démarche partenariale, tentant ainsi de convaincre un jury qui l’était déjà. Afin de gagner en efficacité et pour inciter les candidats à présenter ce qui constitue la spécificité de leur projet partenarial, un « guide du candidat auditionné » leur a été fourni. Ce guide présente les profils des membres du jury et vise à orienter les candidats à présenter non pas la pertinence scientifique du projet (celle-ci ayant déjà été évaluée favorablement), ni les avantages du partenariat « en général », mais bien les spécificités du partenariat déployé au sein de leur projet.
Prise de décision par consensus
L’ensemble des décisions présentées ci-dessus ont été prises par la méthode du consensus. Si des divergences de vue ont pu apparaître en cours de discussion, le GT n’a pas connu de situation de blocage nécessitant soit le recours au vote (ou à toute autre modalité de prise de décision de ce type), soit à une délégation de prise de décision.
Dynamique de groupe et volonté d’aller plus loin
À l'issue des auditions effectuées dans le cadre de l’AÀP 2021, les membres du GT ont unanimement exprimé leur satisfaction tant sur le processus de travail que sur les résultats de l’activité du groupe. La position attribuée au GT, en l’occurrence celle d’être le seul à sélectionner les projets, constitue le caractère le plus innovant de la démarche et l’une des raisons principales pour lesquelles le sentiment d’utilité et de responsabilité a été partagé par ses membres.
En conséquence, la totalité des membres a ainsi souhaité s’investir à nouveau pour l’organisation de l’édition 2022 de l’AÀP, puis de l’édition 2023. Plus encore, le groupe ambitionne d‘étendre ses actions, ce qui s’est manifesté par l’adoption d’une charte dont la rédaction a été concrétisée en juin 2022, et par l’organisation d’une journée d’étude portant sur le partenariat dans la recherche en septembre de la même année.
Une démarche encourageante pour favoriser la démocratie en santé et l’implication des personnes concernées dans la recherche
Dans son dernier appel à candidatures visant à la labellisation des cancéropôles6 (juin 2022), l’INCa a intégré un axe transversal dénommé « démocratie sanitaire » et visant à inscrire celle-ci dans les actions de ces structures régionales. Après deux ans et demi d’existence et trois appels à projets pilotés, les membres du GT ECLAIR et le CLARA ont acquis la conviction que leur expérience peut inspirer des initiatives similaires auprès des autres cancéropôles et, plus largement, auprès de toute structure portant des AÀP dans le champ de la santé, et désireuses de favoriser la démocratie en santé.
Quelles sont les caractéristiques fondamentales de cette expérience ? Si un travail d’analyse objectif mériterait d’être mené, deux éléments apparaissent au GT de première importance et peuvent être formulés sous forme de recommandations.
Le premier est d’assigner à un tel groupe des missions ayant un poids véritable dans la mise en œuvre et les résultats d’un dispositif (en l’occurrence, un AÀP). En permettant au GT de définir, d’une part, les termes même du cahier des charges de l’AÀP et, d’autre part, les modalités de sélection des dossiers, et de surcroît en donnant au GT la possibilité de jouer un rôle actif dans cette phase, s’est opéré un véritable partage des responsabilités entre l’institution CLARA et les membres du groupe. À l’échelle individuelle, certains membres du GT avancent que cette expérience partenariale contribue au développement de leurs compétences et au renforcement de leur pouvoir d’agir.
Les résultats de l’expérience se mesurent aussi à l’échelle de l’institution elle-même. Depuis 2011, année de la première édition de l’AÀP OncoStarter, et après avoir instruit près de 500 dossiers de candidature, le CLARA n’avait instruit que très peu de projets s’inscrivant dans le champ de la recherche partenariale. La situation n’apparaît pas spécifique à son périmètre. En invitant des patients à constituer un GT et à investir le dispositif OncoStarter, le cancéropôle a ainsi proposé qu’un dispositif ancien et éprouvé soit utilisé au service d’une approche encore très rare dans le champ de la recherche en cancérologie.
Le deuxième élément de recommandation est de dédier un CdP (ou tout autre profil équivalent) à la coordination du GT. Cela semble constituer également une condition de réussite d’une telle entreprise. Ce rôle comporte plusieurs composantes : une composante pratique (rédaction et partage des comptes-rendus de réunions, programmations des sessions de travail, gestion des outils numériques…), une composante institutionnelle (maintien du lien entre le GT et le CLARA) et une composante en matière de socialisation à la recherche et à ses acteurs.
La démarche du GT ECLAIR se veut être celle des « petits pas ». Elle propose de financer des projets prometteurs, même s'ils ne respectent pas le cahier des charges « idéal » car la recherche partenariale est émergeante en cancérologie. L’enjeu de l’intégration des personnes concernées dans la formulation de la question de recherche, ou celui de leur valorisation (voire de leur rémunération) représentent deux aspects jugés cruciaux et sur lesquels tous les lauréats n’ont pas nécessairement répondu à toutes les attentes.
Cette démarche des petits pas est aussi à entendre sur le plan disciplinaire : les SHS se sont majoritairement mobilisées lors des deux premières éditions de l’AÀP OncoStarter, or le GT a souhaité dès le début pouvoir s’ouvrir à l’ensemble des disciplines. La sensibilisation des chercheurs en sciences biomédicales constitue également un défi qui se présente au groupe.
Par ailleurs, si les membres du GT ECLAIR effectuent le suivi des projets lauréats aux côtés des chefs de projets du CLARA (en particulier au lancement, à mi-parcours, et à la clôture des projets), il faudrait néanmoins se donner les moyens d’une analyse précise du partenariat déployé au sein de ces projets, et observer, au long cours, leur développement.
Enfin, et ce n’est pas le moindre des enjeux, le GT ECLAIR et le CLARA se doivent également de définir les conditions et modalités d’une implication au long cours des personnes concernées, en particulier pour éviter des situations d’épuisement qui peuvent les guetter, et veiller à favoriser la diversité sociale des personnes ainsi engagées. Ces questions se posent à l’échelle du GT, et des projets de recherche que le GT finance au travers de l’appel à projets OncoStarter, quoique selon des termes différents. Le GT a en effet la possibilité de réfléchir lui-même, avec le Cancéropôle, à ces modalités, et aux moyens de détecter les situations possiblement délétères. En revanche, s’il peut mener un travail de sensibilisation auprès des partenaires des projets de recherche, se pose le problème de « l’ingérence » qui peut ou non être la sienne au sein des dits projets, fondamentalement constitués autour d’un contrat bipartite réunissant un professionnel de la recherche (porteur du projet) et son ou ses patients partenaires.
Une chose est toutefois certaine à ce stade : pour le GT, l’exigence éthique de prendre soin des patients engagés dans la recherche, et en particulier de prendre en considération les émotions parfois fortes qui peuvent les traverser et de veiller à éviter leur épuisement, ne doit pas être le paravent d’une forme de « paternalisme scientifique » qui confèrerait aux organisations ou aux chercheurs professionnels le pouvoir de limiter – voire d’annihiler – la participation des patients. Dit autrement, le chemin pavé des bonnes attentions portées aux patients ne doit mener à l’enfer de la persistance des relations de pouvoir déséquilibrée. Il est d’ailleurs remarquable que ces préoccupations semblent bien plus se manifester à l’endroit des patients qu’à celui des chercheurs professionnels, comme si ces derniers ne pouvaient eux-mêmes être sujets d’épuisement et de fortes émotions...
En réalité, nombre de ces enjeux sont communs à toutes démarches partenariales en santé. Les personnes concernées seules ne peuvent y répondre, et il apparaît indispensable que les institutions s’en saisissent et partagent leurs bonnes pratiques. C’est pourquoi le CLARA a signé des contrats de partenariat avec le DUPGA et les comités départementaux de la Ligue contre le cancer partenaires, et espère ainsi consolider le partenariat en recherche en cancérologie.
Remerciements/Acknowledgment: Les auteurs remercient l’ensemble des membres du GT ÉCLAIR du Cancéropôle Lyon Auvergne-Rhône-Alpes (CLARA) ainsi que l’équipe du CLARA.
Financements/Funding Statement: Aucun.
Contributions des auteurs/Author Contributions: Tous les auteurs ont contribué de manière égale à la rédaction de cet article.
Disponibilité des données et du matériel/Availability of Data and Materials: Non applicable.
Avis éthiques/Ethics Approval: Non applicable.
Conflits d’intérêt/Conflicts of Interest: Les auteurs et autrices ne déclarent aucun conflit d’intérêt.
1L’expression « personne concernée » est définie par la Haute Autorité de Santé dans sa recommandation « Soutenir et encourager l’engagement des usagers dans les secteurs sociale, médico-social et sanitaire » du 23 juillet 2020. Elle désigne « toute personne concernée par une problématique sociale ou de santé et/ou toute personne sollicitant un service sanitaire, social ou préventif ainsi que leurs proches, aidants et/ou représentants ».
2Au cours de cet article, le terme « patient » inclut l’ensemble des « personnes concernées ».
3On se réfèrera à la page Web du dispositif OncoStarter pour davantage de renseignements : https://www.canceropole-clara.com/appels-a-projets/oncostarter.
4Voir par exemple https://frq.gouv.qc.ca/programme/priorite-patient-pour-une-amelioration-de-la-trajectoire-de-soins-et-des-services-en-oncologie-au-quebec-frqs-oncopole/.
5Le cahier des charges est téléchargeable à l’adresse suivante : https://clara-nxc.open-dsi.fr/index.php/s/CFoeyKi2sCKdtpg.
6https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Appels-a-projets/Appels-a-projets-en-cours/KPOL22.
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