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La diplomation de patient•es partenaires en oncologie : un dispositif soutenant l’engagement du patient•e en oncologie

Graduation of Patients at the University: An Innovative Program to Train Patients as Care Partners in Oncology

by Lennize Pereira Paulo1,2,*, Catherine Tourette-Turgis1,2, Marie-Paule Vannier1,3

1 Université des patient.es, Sorbonne Université, Paris, 75013, France
2 CNAM-EA7529, Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris, 75003, France
3 CREN-EA2661, Centre de Recherche en Education de Nantes, Nantes, 44000, France

* Corresponding Author: Lennize Pereira Paulo. Email: email

(This article belongs to the Special Issue: Promoting Health Democracy in Oncology
Promouvoir la démocratie sanitaire en oncologie
)

Psycho-Oncologie 2024, 18(1), 9-15. https://doi.org/10.32604/po.2023.042981

RÉSUMÉ

Cet article présente l’histoire et les enjeux de la diplomation des patients en la posant comme un dispositif de soutien de l’engagement des patients et des usagers du système de santé. Un ensemble de lois relatives aux droits des malades et à la qualité du système de santé permettent l’intégration des patients dans le système de santé mais elles se heurtent à la non-préparation des institutions à ce nouveau champ de pratiques. La diplomation des patients nécessite des transformations dans les modes d’accueil et de financement des universités et aussi dans les méthodes pédagogiques qui doivent être adaptées à l’accueil et la formation de personnes en situation de vulnérabilité. L’article décrit en détail l’exemple, l’histoire et les effets de la création en France du premier diplôme en cancérologie ouvert et destiné à des patient•es partenaires et conclut sur les besoins de mécanismes concrets de reconnaissance sociale de l’engagement des usagers dans le système de santé.

Abstract

This article presents the history and challenges of patient graduation, positioning it as a means of supporting patient engagement and user involvement in the healthcare system. A set of laws related to patient rights and healthcare quality allows for the integration of patients into the healthcare system, but they face the unpreparedness of institutions in this new field of practices. Patient graduation requires transformations in the modes of reception and financing of universities, as well as in the pedagogical methods that need to be tailored to the reception and training of individuals in vulnerable situations. The article provides a detailed description of the example, history, and effects of the creation of the first open diploma in oncology for patient partners in France and concludes by emphasizing the need for concrete mechanisms for social recognition of user engagement in the healthcare system.

MOTS CLÉS


Keywords

University of Patients; patients partners; health democracy; cancer

Introduction

Cet article présente l’histoire et les enjeux de la diplomation1 des patients en la posant comme un dispositif de soutien de l’engagement des patients et des usagers du système de santé. Il décrit en détail l’exemple, l’histoire et les effets de la création en France du premier diplôme en cancérologie ouvert et destiné à des patient•es partenaires et conclut sur les besoins de mécanismes concrets de reconnaissance sociale de l’engagement des usagers dans le système de santé.

La place à accorder aux malades et aux usagers dans l’amélioration de notre système de soin et de santé est un sujet en débat depuis plusieurs décennies mais c’est à partir de la mobilisation associative sans précédent lors de l’épidémie de VIH-SIDA qu’on a découvert les bénéfices des différents types d’engagement des malades en termes de recherche médicale, d’innovations thérapeutiques, de prévention et de traitement social de la maladie Barbot [1] Jouet [2].

On assiste en France depuis une dizaine d’années à un essor de pratiques variées, regroupées sous l’appellation d’engagement en santé, et ce d’autant plus que la variété des pratiques va de pair avec une variété des concepts et des terminologies pour en désigner les sujets qui les réalisent [3,4].

En près de vingt ans, les lois de mars 2002, celle « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé » et de janvier 2002 « rénovant l’action sociale » ont permis de disposer d’un socle législatif articulant la question des droits avec la qualité des soins. La participation effective des usagers suppose qu’ils disposent de moyens propres pour avoir un poids dans les instances de décision en santé [5].

Un choix stratégique en termes de politique publique d’inclusion universitaire

L’Université des Patient•es (UdP2) a ouvert officiellement à la rentrée scolaire 2009–20103 en prenant appui sur la loi [Loi HPST4] qui recommande la participation des usagers, des malades et des associations dans la création et l’animation des programmes d’éducation thérapeutique. La loi HPST nous a permis d’ouvrir les inscriptions dans les diplômes en éducation thérapeutique que nous destinions aux patients-experts et aux représentants des usagers.

Elle a également contribué à solliciter les services de formation continue de notre université pour la constitution des jurys de Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) à destination de patient•es qui voulaient entrer en master d’éducation thérapeutique. Il s’agissait d’établir « un programme de reconnaissance par l’université des savoirs acquis par les patient•es tout au long de leur expérience de la maladie, en reconnaissant ces savoirs acquis au même titre qu’une expérience professionnelle [6,7].

Pour faire face aux résistances culturelles5 émises par l’institution universitaire à l’inclusion de patient•es dans les cursus diplômants de la faculté de médecine, et obtenir les autorisations des instances6 nécessaires pour la création de cursus diplômants, le projet a consisté à ouvrir régulièrement de nouveaux diplômes en suivant les orientations des politiques publiques du système de santé. Ainsi un diplôme a été adossé à la loi HPST pour inclure des patient•es expert•es désirant une diplomation en éducation thérapeutique. Le diplôme « démocratie en santé » ouvert en 2016 s’est appuyé sur la loi de modernisation du système de santé et le diplôme universitaire « patient•es mission accompagnement en cancérologie »7 s’est appuyé sur le Plan cancer 2014–2019.

Opérationnaliser l’intégration de l’expérience patient•es dans un cursus diplômant destiné à des usagers des services de soin

La mise en place de l’UdP a nécessité la création de modes opérationnels concrets. Inclure des patientes et des patients à l’université nécessite d’introduire des modifications concrètes dans les procédures d’accueil, de gestion de ce nouveau type de statut étudiant qui ne rentre ni dans les cases de la formation continue, ni dans celles de la formation initiale malgré l’existence du droit à la formation tout au long de la vie. La loi n’a pas prévu de modalités pour répondre aux désirs d’usagers expérimentés du système de santé.

Il a fallu tout d’abord modifier les tarifs de la formation continue pour rendre les diplômes accessibles aux patient•es, transformer les modes de contrôle continu en y intégrant de potentielles absences pour raisons médicales de suivi. Il a fallu modifier le mobilier des salles de classes pour casser l’effet délétère des rangées de table anonymes et aussi pour faire face aux périmètres de marche limitée, aux douleurs, à la fatigue. Il a fallu aussi prévoir un accès optimal à des WC indispensables dans certaines maladies et créer un lieu de repos pour rendre l’espace et les temporalités pédagogiques vivables pour nos étudiant.es.

Nous essayons de mettre en œuvre des pratiques concrètes du « care » au sein même de l’UdP, dans ses dimensions individuelles et collectives. Nous facilitons une dynamique de groupe mettant nos étudiant.es en situation de prendre soin d’eux-mêmes et également de devenir des appuis pour leurs pairs. La précarité biologique, médicale, le degré de rétablissement, ne sont pas un critère de non-accès aux cursus diplômants. Jusqu’à une période récente, comme le montrent les études, une personne bénévole du cancer qui faisait « une rechute » devait cesser les activités où elle était en contact avec d’autres malades [8,9] et se reclasser dans des activités administratives.

Nous reconnaissons le fait que le sujet est capable de productions pour le bien commun même quand il est lui-même dans une situation de vulnérabilité profonde [10]. Notre pédagogie est fondée sur la reconnaissance du droit à un projet personnel dont il s’agit d’accompagner le développement car nul n’est mieux à même de penser les changements nécessaires à sa condition que les personnes directement concernées, qui sont à même de percevoir les points aveugles dans les parcours de soins, de vie avec la maladie ou l’expérience de la maladie.

Le diplôme Mission patient•es partenaire.s et référent•es en rétablissement en cancérologie–Le premier diplôme en France pour des personnes vivant l’expérience du cancer.

Le plan cancer [2014–2019] recommandait l’inclusion de patient•es dans toutes les structures dédiées au cancer avec différentes formes d’intégration possible « […] l’implication et l’autonomie des patient•es dans leur prise en charge pourront également être accrues grâce à l’apport de l’expérience de pairs (‘patient•es ressources’) » ; « Le Plan permet ainsi d’asseoir le principe de la généralisation de la place des usagers dans l’ensemble des structures dédiées à la lutte contre le cancer ». L’article 14-5 insiste sur l’absolue nécessité d’apporter une formation spécifique aux représentants des usagers et à leurs interlocuteurs professionnels dans un objectif de co-construction des politiques et actions de lutte contre les cancers.

Le diplôme de cancérologie a été autorisé à l’Université Pierre et Marie Curie à Paris en 2016 et il a bénéficié de l’engagement des services d’oncologie des sites hospitalo-universaires dépendants de l’université (Sorbonne Université8). La diplomation dénombre à ce jour plus d’une centaine de Patient.es Partenaires (ou PP9). Les étudiant.es, des femmes à plus de 90%, qui s’inscrivent à ce diplôme sont des personnes ayant vécu ou vivant l’expérience d’un ou plusieurs cancers. Les motivations formulées sont de plusieurs ordres. On observe des motivations premières en lien avec l’expérience vécue du cancer, (venir pour se rétablir, pour sortir de l’isolement ou pour faire une pause). On est aussi en présence de motivations en lien avec une bifurcation professionnelle souhaitée ou déjà en cours (venir pour se professionnaliser dans le domaine du cancer et pas forcément dans un service de soin mais aussi dans les entreprises et d’autres espaces de la société). On assiste à un essor des motivations en lien avec des services d’oncologie employant déjà sous une forme salariée des PP (s’inscrire pour répondre à la demande d’un service qui préfère un PP diplômé) et à une stabilisation du nombre de personnes désirant légitimer leur pratique de bénévole dans une association [11].

Le référentiel de formation du diplôme a été conçu à des fins d’accompagnement de la transformation de l’expérience de vécus avec la maladie en une expertise au service de la collectivité. Il s’organise autour de quatre grands blocs10 de compétences allant de l’appropriation de sa propre expérience à ses étapes de transformation, en passant par un enrichissement de la connaissance du parcours patient•e en cancérologie et de la professionnalisation des PP, dans le cadre de projets qu’ils ou elles pensent pertinents pour améliorer les parcours de soins, et plus largement, les parcours de vie, voire les parcours professionnels dans une société inclusive.

Les choix pédagogiques s’inscrivent dans les éthiques du care et la reconnaissance des savoirs expérientiels réélaborés au contact des pairs [12] dans une organisation pédagogique qui conçoit et valorise les moments dédiés à l’écoute, aux échanges entre pairs et aux activités narratives [1315].

Les éthiques du care dans les choix pédagogiques de l’UdP -Sorbonne Université

Aucun professionnel de l’enseignement et de la formation n’est à l’abri de la production d’injustices épistémiques [16]. Vouloir les réduire nécessite d’identifier et de choisir des orientations pédagogiques en se posant les questions des rapports de domination et d’autorité dans la relation pédagogique, les relations asymétriques dans les pratiques de soin, les parcours de reconnaissance [17,18], les questions de posture par rapport aux vulnérabilités (care), la hiérarchie des crédibilités dans la recherche [19].

Il s’agit, pour l’UdP-SU, d’améliorer en permanence les dispositifs pédagogiques de chaque diplôme pour réduire le risque des sentiments d’illégitimité dans le rapport à la connaissance auxquels sont exposés les étudiants qui, du fait d’avoir acquis une expertise selon des modalités relevant de l’autodidaxie [20] ou de la faible autorité accordée à l’expertise associative, ne se sentent pas légitimes pour oser déconstruire les cadres universitaires de production des savoirs. Des patient•es et ex-diplômé•es assurent des enseignements comme vacataires dans les trois cursus diplômants et les master class.

L’intégration de PP dans la Cité après un cursus diplômant en cancérologie : la démocratie en santé au-delà du périmètre médical

Le développement du cursus diplômant en oncologie à destination des patient•es, des aidants et des professionnels attire de manière croissante des personnes ayant, ou ayant eu, une expérience de cancer et dont la carrière professionnelle a explosé pendant le cancer, ou après la période de reprise des activités professionnelles, et qui tentent une reconversion professionnelle. Des étudiant•es désirent suivre ce diplôme pour ensuite, dans leur propre entreprise publique ou privée, développer des stratégies d’accompagnement des salariés ou aidants concernés par le cancer, des campagnes de communication, des services personnalisés. D’autres étudiant.es ayant des formations préalables ou des postes dans le domaine de la gestion des ressources humaines ou dans le coaching voient dans ce diplôme l’occasion de développer de nouveaux services. Enfin, des personnes ayant une pratique et une appartenance associative dans le domaine du cancer désirent acquérir ce diplôme en cancérologie pour renforcer leurs compétences et bénéficier d’une légitimation parfois nécessaire pour postuler à certains appels à projets.

Les interventions de patient•es en dehors du monde du soin a nécessité des apports pédagogiques spécifiques en termes d’ingénierie et de conduite de projets comme l’identification d’indicateurs de suivi de projet, des outils de traçabilité de l’action. Il est intéressant de voir comment on peut combiner un processus d’étayage individuel et groupal et un outillage pour la pratique. C’est au cœur de cette combinaison constante que nous avons commencé à rédiger des éléments pour une pédagogie de l’attention à autrui.

L’intégration de PP diplômé.es dans les services d’oncologie : un agir citoyen

A l’issue de la première promotion de PP diplômés en juin 2016, l’équipe pédagogique a constaté que des services d’oncologie embauchaient des étudiant.es. Les établissements avaient rencontré les étudiant.es lors d’un stage, lors d’un enseignement, ou lors d’évènements ou de manifestations scientifiques propres au cancer. Ce phénomène d’intégration de patient•es formé•es et diplômé•es dans des services d’oncologie est en plein essor et il se poursuit sous des formes de contractualisation diversifiées (en CDD ou CDI11, en contrat de prestation de service sous forme d’auto-entreprenariat, intervention sous forme non rémunérée). A noter que les étudiant•es intégré•es n’ont pas nécessairement d’expérience de patient•es dans le service qui les embauche. Et si tel est le cas, le nécessaire travail de bascule de la posture de patient•es suivi•es dans le service à celle de PP dans ce même service fait l’objet d’un accompagnement spécifique dans le parcours de la formation.

L’équipe pédagogique agrandit et affine son offre pédagogique régulièrement afin de répondre aux besoins et aux demandes des étudiant•es en termes d’élaboration de fiches de postes potentiels, de construction de portfolios de compétences, de formation à une présentation de soi dans un service, dans un staff ou encore de renforcement des connaissances sur la psychosociologie des organisations soignantes en cancérologie. L’essor du déploiement des étudiants dans le champ du soin a mis en évidence le travail considérable à fournir pour permettre à des patient•s ou ex- patient•es de se déployer comme des acteurs de santé dans une équipe de soin en termes d’acceptabilité, de bouleversements de la culture institutionnelle de l’hôpital qui ne dispose pas au niveau national de recommandations concernant le codage administratif de poste pour intégrer ce nouveau type d’acteurs dans la grille de de gestion et rémunération de ses agents [21].

Ces PP, une fois en poste, font valoir leur force de proposition, leur expérience de la maladie et du parcours du soin pour augmenter les apports et le poids de la parole des autres patient•es dans les services de soin. Par leur proximité avec l’expérience vécue dans des situations de précarité biologique, vulnérabilité reconnue et partagée, ces acteurs de la démocratie en santé s’engagent, non seulement à un recueil d’expérience auprès des autres patient•es à des fins d’amélioration de la qualité et de la sécurité de soins, ils ouvrent également la voie pour que d’autres patient•es apportent eux-mêmes leur contribution à l’amélioration du service où ils sont suivis. Les PP agissent pour rendre plus compréhensibles, plus vivables des moments souvent vécus avec un extrême sentiment de vulnérabilité individuelle. Ce faisant, ils soutiennent et accompagnent, voire stimulent la participation des citoyen•nes à l’amélioration du système de santé. Que ce soit dans la cité ou dans les services de soins, dans la recherche en cancérologie ou encore dans la formation des soignant•es, nos étudiant•es sont aujourd’hui une réelle force de proposition et de partenariat dans toute la France12 et quelques-unes en dehors de notre pays (Maroc, Suisse, Luxembourg, Allemagne, Tunisie bientôt)13.

L’accompagnement des PP dans leurs parcours de professionnalisation

Les PP intervenant dans les équipes de soin indiquent qu’ils investissent une énergie psychologique et émotionnelle supplémentaire par rapport aux soignants puisqu’ils amènent une part de leur vie privée au travail et qu’ils doivent régulièrement délibérer sur la bonne posture, la distance et les manières d’utiliser leur expérience comme ressource pour autrui ou pour le service. Par ailleurs lorsqu’ils manifestent les difficultés rencontrées, ou présentent des signes d’épuisement, ou de fragilité, il est courant qu’on remette en question leur professionnalisme et qu’on disqualifie alors leur vulnérabilité. Face à ce constat, l’équipe pédagogique de l’UdP-SU a conçu, depuis 2021, un dispositif d’accompagnement des patient•es qui œuvrent sur le terrain, dans les différents domaines d’intervention choisis par elles / eux.

La création d’un dispositif d’analyse des pratiques : le GAP-ExP

A l’UdP-SU l’équipe pédagogique a instauré des “GAP-ExP” ou Groupe d’Analyse de Pratique centré sur l’Expertise Patient•e [22]. Ce programme propose un espace dédié à la mutualisation et au renforcement de leurs compétences de patient•es expert, de PP, de patient•es formateur, de patient•es chercheur. Ces GAP-ExP sont déployés pour et par les acteurs de la démocratie en santé car ils sont animés, coordonnés par des pairs patient•es diplômé•es et formé•es à son animation. Une masterclass a été conçue au sein de l’UdP-SU à cette fin.

Il nous a semblé en effet impérieux de soutenir nos étudiant.es, acteurs directs de la démocratie en santé au sens où celle-ci, au-delà de la reconnaissance des droits des usagers, doit se traduire par leur expression dans toutes les instances de la société sans cloisonnement entre le sanitaire, le social et le médico-social. Aussi le GAP-ExP est-il un dispositif qui s’appuie sur la force des pairs dans la co-construction du sentiment de légitimité, trop souvent mis à mal sur le terrain. Soigner la démocratie en santé, c’est aussi miser sur la capacitation des acteurs qui, sur le terrain, essayent de la faire vivre, c’est prendre soin de ceux et celles qui se mettent en ligne de front pour la déployer sur les terrains les plus divers, c’est créer des espaces misant sur la prévention pour que leurs engagements n’amènent pas de nouvelles vulnérabilités.

Le GAP-ExP institue de fait un lieu de co-construction de ce qui pourrait s’apparenter à un nouveau genre professionnel [23] au sens où les participants sont amenés à élaborer collectivement des éléments fondateurs du métier de patient patenaire, élaboration à même d’étayer la légitimité recherchée. La mise en analyse des situations professionnelles vécues devient une source d’inspiration mutuelle. La reconnaissance des expériences par les pairs et la mise en mots de ce qui fonde une pratique, dans un cadre rassurant avec une méthode permettant de soumettre les situations à une analyse collective afin de mieux les appréhender, les comprendre, voire les transformer, sont vécues par les participant.es comme une opportunité et un complément de formation. La reconnaissance entre pairs est également médiatisée par les situations mêmes, certes toujours singulières, mais qui font écho aux parcours des un•es et des autres. Comme le précise une participante, « ce GAP-ExP est une démarche aussi nécessaire qu’enrichissante. Il permet de se poser et de trouver un cadre sécurisant aux Patientes partenaires. Il nous renvoie à la construction d’une culture commune, nous invite à questionner les limites de nos interventions, tant pour les patients que pour nous-mêmes. Il est un outil indispensable pour soutenir le partenariat avec les équipes de soins... Il renforce notre légitimité en tant que nouvel acteur en santé. »14

Analyse et discussion sur la diplomation comme l’exemple français d’un modèle d’engagement combinant droit et participation

Comme l’écrivaient Ferrand et al dans leur rapport de recherche sur « care et cancer », en 2010 : « Le modèle d’accompagnement des bénévoles en soins palliatifs est éprouvé. Le bien-fondé de l’intégration du bénévole c’est sa présence avant tout, plus que ce qu’il fait. » [24]. La présence de PP hors soins palliatifs bénéficie d’une moindre acceptabilité au sens où les approches de fin de vie relèvent, dans les représentations du monde soignant, d’une approche compassionnelle. En revanche, intégrer dans un parcours de soin des patient•es engagé.es et susceptibles de participer activement à l’organisation des soins en conduisant des activités en rôle propre, n’est pas encore un acquis de la culture soignante. Les modalités d’intervention de ces nouveaux acteurs dans le soin en cancérologie soulèvent des réticences, non pas de la part des bénéficiaires de l’offre de soin, mais de la part des équipes soignantes au sens large.

Bien que la démocratie en santé recommande la participation des usagers au système de santé, l’intention se heurte à la non préparation des services de soin en cancérologie et aussi à l’absence d’une culture et d’une tradition de partenariat, à la différence d’autres pathologies, comme l’infection à VIH, la psychiatrie, les addictions, les maladies cardio-vasculaires, le diabète pour lesquelles les modèles de prescriptions fortes médicamenteuses ne suffisent pas, et où les changements de comportements font partie intégrante des soins, du suivi et de la prévention des risques d’aggravation. Dans ces pathologies, on dispose de données assez probantes sur les effets bénéfiques de l’intégration de patient•es dans les équipes de soin et leur participation active à toutes les étapes du parcours de soin à l’hôpital et en ville [25].

Par rapport à la question de la formation des PP décrite tantôt comme utile, tantôt comme indispensable, tantôt comme inutile, on retrouve souvent les mêmes réticences que celles déjà énoncées par Claire Compagnon en 2014 dans la recommandation portant sur la formation et la création d’un statut pour les usagers : « Nous le savons cette dernière recommandation va vraisemblablement susciter de nombreuses réactions : certains vont y voir le risque d’une professionnalisation des usagers dès lors qu’on évoque les questions d’indemnisation et de formation. L’usager ne serait acceptable que dans “sa naïveté originelle”. » [5].

Le désir de professionnalisation des usagers du système de soin qui se rapproche le plus du cancer est celui des pairs aidants en santé mentale dans la mesure où les deux comportent des dimensions de rétablissement avec des points communs (risque de rechute, incertitude, désirs de bifurcation, stigmatisation et discriminations, la présence de composantes existentielles dans le rétablissement15 conceptualisé comme un processus, voire comme un parcours autonome à intégrer dans le parcours de soin.

Comme l’observe Christian Saout [26] nous avons besoin « d’une offensive française en faveur de l’engagement » et ce d’autant plus que nous avons commencé en France par l’affirmation des droits des malades à la qualité du système de santé. La question des droits était et reste un niveau incontournable avant de s’engager dans la modification des pratiques. En effet, à la différence des pays anglosaxons, nous avons l’habitude de partir des lois pour modifier les pratiques et, en ce sens, la loi HPST, dont son titre IV sur l’éducation thérapeutique l’a magistralement démontré, a ouvert la voie à l’engagement patient et au partenariat.

Conclusion

L’UdP-SU apporte la preuve qu’en s’appuyant sur la loi, les recommandations législatives, on peut encore innover en France même si parfois, en tant qu’acteur, il faut argumenter à partir de son rôle propre, et parfois, en sortir pour s’engager et prendre des risques. Il est certain que les PP vont trouver leur place en oncologie et, à ce titre, l’engagement de structures d’état comme l’Agence Régionale de santé d’Aquitaine qui a financé huit postes de PP répartis sur plusieurs services, a été un signal fort au niveau national. Par ailleurs, plusieurs Instituts du Sein ont recruté des PP diplômées dans leurs équipes il y a déjà plusieurs années. Il va de soi que l’engagement des personnes ne peut pas exister sans l’engagement des institutions. Par ailleurs, l’initiative en cours de la Haute Autorité de Santé d’élaboration d’un guide de bonnes pratiques (à paraître) va permettre de disposer de mécanismes concrets de reconnaissance sociale des usagers engagés sur les terrains, et de résoudre un certain nombre de difficultés d’ordre administratif, juridique et financier. Toutes ces innovations qui démontrent les capacités d’agentivité d’acteurs, autrefois considérés comme des « sans droit », montrent que le système de santé en France est suffisamment mature pour voir l’intérêt collectif qu’il y a à ajouter des sièges à la table des décisions en santé. L’Université des Patient•es–Sorbonne Université aura, de fait, fonctionné comme modèle inspirant au niveau national dans la mesure où on recense, fin 2022, plus de douze universités qui acceptent des patient.es dans leurs cursus et / ou qui déploient à leur intention des cursus spécifiques en répondant à leur demande et à celle des régions et territoires. Il lui revient maintenant d’opter pour des choix stratégiques comme celui de se battre pour institutionnaliser cette initiative, celui de développer de nouvelles offres en suivant la demande de ses publics, celui de se centrer sur la formation continue de ses étudiantes et étudiants, celui de se développer sous une forme numérique, celui de se battre sur le terrain académique pour faire reconnaître les malades comme pôles légitimes de connaissances.

Remerciements/Acknowledgment: Aux étudiantes et étudiants qui contribuent au succès de cette formation ainsi qu’au développement du Partenariat Patient en Oncologie sur les différents terrains où celui-ci s’avère nécessaire, pertinent, productif au service d’une société plus inclusive Et plus généralement, à toutes les personnes qui contribuent à la qualité de la formation au sein de l’UdP-SU.

Financements/Funding Statement: Non concerné.

Contributions des auteurs/Author Contributions: Tous les auteurs ont contribué à l’écriture et à la relecture de l’article.

Disponibilité des données et du matériel/Availability of Data and Materials: Non concerné.

Avis éthqiues/Ethics Approval: Non applicable.

Conflits d’intérêt/Conflicts of Interest: Aucun.

1Nous adoptons ici la terminologie québécoise pour signifier à la fois le cursus diplômant et l’obtention d’un diplôme universitaire.

2Nous emploierons dans la suite du texte l’acronyme UdP (ou encore UdP-SU) pour désigner l’Université des Patient.es–Sorbonne Université (nom complet actuel de l’UdP).

3En 2007–2008, des personnes vivant avec une maladie chronique était déjà intégrées dans nos cursus diplômants (ex. Master Éducation Thérapeutique, Université de Rouen…).

4Loi Hôpital Patients Santé et Territoire du 21 juillet 2009.

5Il était difficile et il est encore difficile pour certaines facultés de médecine, de penser que les malades sont des pôles de connaissance légitimes.

6CEVU ou Conseils des Études et de la Vie Universitaire.

7Intitulé qui s’est modifié au fil du temps pour répondre aux enjeux forts d’accompagnement : « Mission d’accompagnement du parcours patient en cancérologie » et en 2021 « Patient•e Partenaire et Référent•e en rétablissement en cancérologie » & raquo.

8Sorbonne Université est née le 1er janvier 2018 de la fusion des universités Paris IV (ex-Paris Sorbonne) et Paris VI (Ex UPMC ou Pierre et Marie Curie).

9Nous emploierons l’acronyme PP dans la suite du texte pour parler de Patient.es Partenaire.s.

10Bloc 1 : S’approprier son expérience–Bloc 2 : Transformer son expérience–Bloc 3 : Enrichir ses connaissances du parcours patient en oncologie–Bloc 4 : Transformer son parcours diplômant en parcours professionnalisant. https://universitedespatients-sorbonne.fr/diplome/mission-patient-partenaire-et-referent-en-retablissement-en-cancerologie/.

11CDD : Contrat à Durée Déterminée et CDI : Contrat à Durée Indéterminée.

12Il suffit d’aller sur réseaux professionnels sur internet pour retrouver ces étudiant.es et leurs contributions.

13Nous pouvons citer à titre d’exemple quelques-unes des patientes diplômées présentes sur le terrain : A, S., V, C, engagées dans l’accompagnement des soignant.es et des patient.es ; H. qui est à l’origine d’une structure d’accompagnement de patient.es, d’aidant.es au retour à l’emploi à l’échelle de son entreprise ; S. qui a rejoint la recherche en cancérologie, C, D, qui contribuent activement à la formation aux métiers de la santé ; V, qui a créé un lieu d’accueil et d’écoute de patient.es, aidant.es dans sa commune en milieu rural ; G, présente dans un des moments les plus difficiles du parcours de soin en cancérologie, assure en binôme avec une chirurgienne gynécologique une consultation annonce…, etc.

14Propos d’une participante, recueilli à l’occasion d’une enquête « mi-parcours » menée auprès de 28 participant.es actuellement intégrant les trois nouveaux groupes mis en place à l’UdP-SU de février à juillet 2023.

15Nous avons modélisé les cafés du rétablissement (Hôpital Tenon, La Pitié Salpêtrière sous forme d’ateliers de counseling de 24 h, co-animés par des patientes) et sommes en train de rédiger le guide d’animation.

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Paulo, L.P., Tourette-Turgis, C., Vannier, M. (2024). La diplomation de patient•es partenaires en oncologie : un dispositif soutenant l’engagement du patient•e en oncologie. Psycho-Oncologie, 18(1), 9-15. https://doi.org/10.32604/po.2023.042981
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Paulo LP, Tourette-Turgis C, Vannier M. La diplomation de patient•es partenaires en oncologie : un dispositif soutenant l’engagement du patient•e en oncologie. Psycho-Oncologie. 2024;18(1):9-15 https://doi.org/10.32604/po.2023.042981
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L. P. Paulo, C. Tourette-Turgis, and M. Vannier, “La diplomation de patient•es partenaires en oncologie : un dispositif soutenant l’engagement du patient•e en oncologie,” Psycho-Oncologie, vol. 18, no. 1, pp. 9-15, 2024. https://doi.org/10.32604/po.2023.042981


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