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Etude exploratoire de l’intolérance à l’incertitude et de ses processus cognitifs par la tâche du Stroop chez les parents d’un enfant en rémission de cancer

Exploratory Study of Intolerance of Uncertainty and Its Cognitive Processes by the Stroop Task among Parents of a Childhood Cancer Survivor

by Marie Vander Haegen*, Anne-Marie Etienne

Service de Psychologie de la santé/Unité de Research Unit for a Life-Course Perspective on Health and Education-(RUCHE; ULiège), University of Liège, Liège, 4000, Belgium

* Corresponding Author: Marie Vander Haegen. Email: email

Psycho-Oncologie 2023, 17(4), 257-266. https://doi.org/10.32604/po.2023.043340

RÉSUMÉ

Introduction. Aucune étude n’a examiné le lien entre le facteur d’intolérance à l’incertitude et ses effets sur les processus cognitifs de parents d’un enfant en rémission d’un cancer. L’intolérance à l’incertitude est un facteur central dans le trouble anxieux généralisé; trouble anxieux où l’on observe également un traitement altéré de l’information cognitive sous forme de biais cognitifs. L’objectif de l’étude est de mesurer via une tâche de Stroop test classique et de Stroop test émotionnel, l’orientation de l’attention sélective en lien avec le facteur d’intolérance à l’incertitude. Méthodes. Soixante et un parents d’un enfant en rémission d’un cancer (de 4 ans à 6 ans) ont été recrutés dans les hôpitaux de la Province de Liège (Belgique). Les parents ont remplis des questionnaires relatifs à l’intolérance à l’incertitude et ses facteurs associés (i.e., utilité de l’inquiétude, évitement cognitif, attitude en résolution de problèmes et ruminations) et réalisaient une tâche de Stroop test et de Stroop émotionnel. Des corrélations de Spearman et des régressions linéaires multiples ont été réalisées. Résultats. Les résultats indiquent des corrélations positives et significatives entre le stroop émotionnel (indice d’interférence négatif) et l’intolérance à l’incertitude mais également avec les pensées répétitives (ruminations) et les inquiétudes. Les régressions linéaires montrent que les symptômes dépressifs semblent contribuer à expliquer des latences plus longues pour la condition d’interférence (mot de couleur écrit dans une autre couleur). Conclusion. Des recommandations ont été publiées pour améliorer la prise en charge des parents d’un enfant en rémission de cancer mais des études neuropsychologiques centrées sur le parent sont encore nécessaires et à développer afin d’améliorer les initiatives de prévention et de détection de ces familles.

Abstract

Introduction. No study has examined the relationship between the factor of intolerance of uncertainty and its effects on the cognitive processes among parents of a childhood cancer survivor. Intolerance of uncertainty is a central factor in generalized anxiety disorder; an anxiety disorder in which impaired processing of cognitive information in the form of cognitive biases is also observed. The aim of the study was to measure, via a classical Stroop test and an emotional Stroop test, the orientation of selective attention in relation to the uncertainty intolerance factor. Methods. 61 parents of a childhood cancer survivor (aged 4 to 6 years) were recruited from hospitals in the Province of Liege (Belgium). Parents completed questionnaires on intolerance of uncertainty and its associated factors (i.e., usefulness of worry, cognitive avoidance, problem-solving attitude, and ruminations) and performed a Stroop test and an emotional Stroop task. Spearman correlations and multiple linear regressions were performed. Results. The results indicated positive and significant correlations between the emotional Stroop (negative interference index) and intolerance to uncertainty but also with repetitive thoughts (ruminations) and worries. Linear regressions showed that depressive symptoms seem to contribute to explaining longer latencies for the interference condition (color word written in another color). Conclusion. Recommendations have been published to improve the management of parents of a childhood cancer survivor, but parent-centered neuropsychological studies are still needed and should be developed to improve prevention and detection initiatives for these families.

MOTS CLÉS


Keywords

Parents; childhood cancer survivor; Stroop; intolerance of uncertainty

Introduction

Parents d’un enfant en rémission de cancer et ajustement psycho-émotionnel

Les recherches scientifiques sur l’ajustement des parents d’un enfant en rémission de cancer sont moins dévelopées comparés aux parents d’un enfant en cours de traitements [1,2]. On observe une détresse parentale sous forme de symptômes d’anxiété, de dépression et de stress post-traumatique [2,3]. Cette détresse étant majoritairement exprimée par les mères [4]. Les travaux attirent également l’attention sur l’existence de facteurs de protection et de risque dans la trajectoire d’ajustement psycho-émotionnel du parent [5,6]. Pour exemple, les facteurs de protection sont : un soutien social et familial, le stress perçu positivement, un style familial cohésif, un attachement de type sécure mais également des stratégies de coping orientées vers le problème. Par exemple, un haut niveau de soutien social perçu chez le parent et des stratégies de coping centrées sur le problème diminuent significativement les symptômes d’anxiété, de stress post-traumatique et augmentent l’ajustement du parent lors du bilan médical (e.g., prise de décision, résolution active du problème). À l’opposé, les facteurs de risque sont : le genre féminin, une anxiété trait, un niveau socio-économique bas, une durée de rémission courte du cancer chez l’enfant, des séquelles des traitements, une détresse psychologique chez l’enfant (anxiété, dépression, etc.), un style familial désorganisé (communication pauvre, rigidité), un attachement insécure (évitant ou ambivalent) et des stratégies de coping orientées préférentiellement vers l’émotion [79]. Quelques études ont en effet, mis en évidence le lien entre la personnalité du parent et la détresse psychologique. Il s’agit principalement de l’anxiété trait et du pessimisme qui favorisent le développement et le maintien de symptômes anxieux et d’ordre post-traumatique [1].

Inquiétude, incertitude et intolérance à l’incertitude

Au regard des facteurs de l’inquiétude et de l’incertitude chez les parents d’un enfant en rémission de cancer, les travaux se révèlent extrêmement peu fournis. Des études datant des années quatre-vingt-dix et des années deux mille décrivent que 49% des parents expriment des inquiétudes relatives à l’évolution de la santé de leur enfant en rémission de cancer [10]. Dans 75% des cas, les inquiétudes sont liées aux effets tardifs et aux séquelles des traitements. D’autres domaines d’inquiétude chez le parent existent tels que la scolarité de l’enfant, le risque de stérilité à l’âge adulte et le développement psychomoteur [11,12]. Ces observations se confirment dans d’autres travaux avec la contagion des inquiétudes sur le fonctionnement familial et la présence de sentiments de peur, d’insécurité et d’incertitude persistante chez le parent d’un enfant en rémission de cancer [13,14].

D’autres recherches en population clinique et subclinique ont démontré le rôle central du facteur d’intolérance à l’incertitude (II) dans le développement d’inquiétudes intenses et dans le trouble d’anxiété généralisé (TAG) [15]. « L’intolérance à l’incertitude mènerait à percevoir des problèmes qui n’existent pas objectivement et à s’investir dans des stratégies inefficaces (...). Par exemple, l’intolérance à l’incertitude interférerait avec la résolution de problèmes conduisant à des comportements impulsifs qui diminuent l’incertitude sans toutefois résoudre le problème, et générerait des états émotionnels dysfonctionnels (...), ou encore inhiberait les comportements de résolution de problèmes et conduirait la personne à solliciter un plus grand nombre d’indices de certitude avant de prendre une décision » [16, p.2]. En d’autres mots, l’intolérance à l’incertitude peut se définir comme une tendance excessive de l’individu à considérer inacceptable l’occurrence, si faible soit elle, qu’un événement négatif incertain se produise. Dès lors, moins le problème est résolu, plus il devient inquiétant. En conséquence, les stratégies entreprises par l’individu favorisent l’occurrence d’inquiétudes excessives et un état émotionnel négatif (e.g., dévalorisation, faible estime de soi).

Le modèle théorico clinique de l’intolérance à l’incertitude (MII) précise quatre difficultés associées à l’II. En effet, l’II pousse l’individu à utiliser des croyances positives à l’égard de l’inquiétude (i.e., « m’inquiéter pour mon enfant qui est en rémission d’un cancer prouve que je suis un bon parent »), à manifester des erreurs de perception dans le traitement de l’information cognitive, à utiliser l’évitement cognitif des images mentales inquiétantes amenant in fine l’individu à une inefficacité dans la résolution de problèmes [15,16] (Fig. 1 : fonctionnement d’un individu intolérant à l’incertitude). Ces quatre difficultés renforcent à leur tour, les symptômes anxieux, les pensées intrusives, les biais de perception des stimuli et conduisent progressivement l’individu à un épuisement psychologique [17]. Une poignée de travaux en oncologie pédiatrique a mis en lumière la relation entre l’intolérance à l’incertitude et la détresse chez le parent d’un enfant en rémission de cancer. Il apparaît qu’une faible tolérance pour l’incertitude augmente sur le long terme les réponses au stress, les symptômes anxieux et dépressifs chez le parent. À l’opposé, un parent tolérant de façon plus efficace l’incertitude et utilisant une approche active et positive du problème (i.e., coping orienté problème) le perçoit comme plus contrôlable et donc moins menaçant [1820].

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Figure 1: Fonctionnement d’un individu présentant un faible niveau de tolérance à l’incertitude (M-II adapté, Vander Haegen & Etienne, 2022).
Notes: Devant une situation, un individu présentant une intolérance à l’incertitude maintien des croyances erronées relatives à l’utilité de l’inquiétude. On note également la perception des situations comme étant plus menaçantes (erreurs de perception) et une nécessité urgente de réduire et neutraliser les émotions associées par un évitement mental des images. Enfin, on note un déficit dans la résolution du problème (identification du problème et définition du problème inefficaces). Les sources de stress influencent le processus de l’inquiétude mais l’intolérance à l’incertitude reste le facteur impactant l’entièreté du processus de l’inquiétude excessive.

Troubles anxio-dépressifs et fonctionnement neurocognitif

Comme susmentionné, les études conduites sur l’ajustement psycho-émotionnel des parents d’un enfant en rémission de cancer mettent en évidence la présence principalement de symptômes anxieux et dépressifs. La psychopathologie cognitive constitue un domaine de la psychopathologie examinant les dysfonctionnements cognitifs et émotionnels associés aux troubles psychopathologiques (anxiété, dépression, stress post-traumatique). Ce domaine scientifique considère que les dysfonctionnements cognitifs participent avec d’autres variables à l’occurrence et au développement du trouble psychopathologique [21,22]. Les travaux portés sur l’étude du traitement de l’information dans le trouble anxieux décrivent trois dysfonctionnements majeurs : les croyances dysfonctionnelles, les déficits cognitifs et les biais cognitifs. Les croyances dysfonctionnelles s’observent comme de fausses croyances qui résultent d’une association complexe entre certaines données stockées dans la mémoire et qui régulent à leur tour les comportements cognitifs de l’individu. Les déficits cognitifs concernent quant à eux, une situation dans laquelle l’individu se trouve incapable de réaliser certaines fonctions cognitives (e.g., mémoriser) et s’observent plus spécifiquement dans la dépression. Enfin, le biais cognitif renvoie à une situation dans laquelle l’individu traite préférentiellement certains stimuli par rapport à d’autres stimuli (e.g., information de contenu négatif) [23,24]. Enfin, la psychopathologie cognitive a témoigné d’un regain d’intérêt dans l’étude des biais cognitifs dans le trouble anxieux par le paradigme du Stroop émotionnel et la tâche de la détection de la cible [25,26].

Objectifs de l’étude

Les objectifs de l’étude sont doubles : (1) examiner s’il existe un lien entre l’intolérance à l’incertitude et une orientation préférentielle de l’attention sélective par une tâche de Stroop classique et une tâche de Stroop émotionnel et (2) mesurer quel prédicteur pourrait être impliqué dans l’orientation préférentielle de l’attention sélective. Ces objectifs répondent à un manque de recherches et d’études dans la littérature scientifique examinant par une tâche neuropsychologique le lien entre l’intolérance à l’incertitude (et ses mécanismes de maintien) et l’orientation de l’attention sélective.

Matériels et Méthodes

Participants

L’ensemble des comités d’éthique des hôpitaux (étude multicentrique/deux centres hospitaliers de la Province de Liège) ont approuvé le projet et la procédure de la présente étude. Les différentes listes des services d’hématologie-oncologie pédiatriques se composent de 311 patients éligibles. Les critères d’inclusion concernent : père et/ou mère d’enfant en rémission de cancer, francophone, leur enfant doit être en rémission de son cancer (de 4 à 6 ans sans rechute avec chimiothérapie néo-adjuvante) et ne présenter aucune pathologie mentale ou psychologique sévère nécessitant la prise de médicaments. Les critères de non-inclusion concernent : pathologie bénigne et sans chimiothérapie néo-adjuvante, et parent qui présente une pathologie psychiatrique pouvant gêner le rapport à la réalisé et le respect du protocole de l’étude (e.g., psychose, hystérie, paranoïa).

Les cas exclus des 311 patients concernent le protocole de soin où la pathologie est bénigne et/ou, une exérèse chirurgicale est conduite (50,80%) ; l’enfant n’est plus suivi ou ne vient plus à l’hôpital pour ses bilans et le contact ne peut s’établir pour diverses raisons (déménagement (9,96%)) ; le temps de rémission est dépassé ou trop récent (8,70%) ; l’enfant est décédé (8,36%) ou en rechute (2,57%).

La portion restante (n = 61; 19,6%) concerne les parents qui ont participé à l’étude, ont rempli les questionnaires et ont effectué la tâche neurocognitif du Stroop test et du Stroop émotionnel.

Procédure de recrutement

Dans un premier temps, la chercheuse contactait par voie téléphonique et/ou postale les parents éligibles afin de leur proposer de participer à l’étude. Aux participants marquants leur accord de participer à l’étude (par téléphone et/ou voie postale), une lettre d’information détaillée et un consentement éclairé leur sont remis et des explications supplémentaires sont transmises par la chercheuse (code, sécurité des données). Les personnes acceptant de participer à l’étude étaient ensuite invitées à réaliser la phase expérimentale de l’étude.

Dans un second temps, la phase expérimentale s’est déroulée pour tous les participants dans l’institution hospitalière dans un local lumineux et protégé du bruit. Celle-ci consistait en la réalisation d’une tâche Stroop classique et de Stroop émotionnel, ainsi qu’à la complétude des questionnaires. Une fois la phase expérimentale clôturée, les données sont encodées sur un fichier statistique du logiciel SpssStatistics© version 20. Les saisies furent comparées à deux reprises avec les questionnaires bruts afin de minimiser les erreurs de retranscription et de codage.

Questionnaires et tâche de Stroop classique et de Stroop émotionnel

Les parents remplissent 7 questionnaires.

Le Questionnaire d’intolérance à l’incertitude (QII) comprend 27 items polytomiques gradués (de 1, pas du tout correspondant à 5, extrêmement correspondant) et mesure les réactions émotionnelles, cognitives et comportementales face aux situations ambiguës et incertaines. Cette échelle présente une bonne cohérence interne (α = 0,91). Exemple d’item : « l’incertitude m’empêche de prendre position » (item 1) [15].

Le Questionnaire « Pourquoi S’inquiéter », version 2 (PSI-II) se compose de 25 items polytomiques gradués (de 1, pas du tout vrai à 5, extrêmement vrai) permettant d’examiner cinq catégories de fausses croyances à l’égard de l’inquiétude (i.e., résolution de problème, motivation, pensée magique, personnalité, et émotion) que la population clinique (TAG) ou non-clinique entretient. Cet instrument présente une excellente cohérence interne (α = 0,93). Exemple d’item : « je m’inquiète parce que je pense que cela peut m’aider à trouver une solution à mon problème » (item 9) [27].

Le Questionnaire d’Attitudes face aux problèmes (QAP) comporte 12 items polytomiques gradués (de 1, pas du tout correspondant à 5, extrêmement correspondant) et évalue la tendance chez l’individu à percevoir un problème comme menaçant pour son bien-être, à être pessimiste dans ses résolutions cognitives et ses habilités personnelles pour les résoudre. Cette échelle présente une bonne consistance interne (α = 0,72 à 0,93). Exemple d’item : « j’ai tendance à voir les problèmes comme un danger » (item 8) [28].

Le Questionnaire d’évitement cognitif (QEC) comprend 25 items polytomiques gradués (de 1, pas du tout correspondant à 5, extrêmement correspondant) et mesure cinq stratégies d’évitement cognitif (i.e., suppression de la pensée, transformation des images en pensées, substitution, évitement de stimuli menaçants et distraction). Le coefficient de Cronbach établit pour l’ensemble des items s’élève à 0,92 et oscille entre les cinq facteurs entre 0,66 à 0,83. Exemple d’item : « il y a des choses auxquelles j’essaie de ne pas penser » (item 14) [29].

Le Questionnaire « Mini Cambridge-Exeter Repetitive Thought Scale » (Mini CERTS) comporte 16 items polytomiques gradués (de 1, presque jamais à 4 presque toujours) qui évalue les pensées répétitives constructives (pensées concrètes expérientielles/PCE) et les pensées répétitives non constructives (pensées abstraites analytiques/PAA). Les coefficients de consistance interne oscillent entre 0,72 (PAA) et 0,74 (PCE). Exemple d’item : « Quand des pensées à propos de moi, de mes sentiments ou de situations et d’évènements vécus me viennent à l’esprit » … « Je me demande pourquoi je n’arrive pas à me mettre en action (item 7) [30].

L’Hospital Anxiety and Depression Scale (HADS) se compose de 14 items polytomiques gradués à 4 points qui examine les symptômes de l’anxiété (7 items) et de la dépression (7 items). Un score inférieur à 7 (pour les items évaluant tant l’anxiété que la dépression) correspond à un niveau normal, un score au-delà de 7 témoigne d’une symptomatologie importante et au-delà de 10 d’une symptomatologie sévère. L’alpha de Cronbach oscille entre 0,79 et 0,90 pour les facteurs d’anxiété et de dépression. Exemple d’item : « Je me fais du souci » (item 5) [31].

Le Questionnaire d’Inquiétudes Parentales en Santé (QIPS-R15) adapté du Penn-state est un questionnaire mesurant les inquiétudes parentales [32]. Il comprend 10 items polytomiques gradués (de 1, « pas du tout correspondant », à 5, « extrêmement correspondant »). Sur les 16 items originaux du QIPS, 10 items ont été retenus pour l’étude. Les items non retenus étaient non-transposables au contexte des inquiétudes parentales en oncologie pédiatrique (ex. item 16 : Je m’inquiète au sujet de mes projets jusqu’à ce qu’ils soient complétés). La consigne du QIPS-R15 a été changée et libellée comme suivant : « à propos de l’évolution de la santé de mon enfant ». L’analyse exploratoire de l’échelle QIPS-R15 démontre une bonne consistance interne (α = 0,765) [33].

Le Stroop test et le Stroop émotionnel sont deux tâches neuropsychologiques permettant d’évaluer l’orientation de l’attention sélective. Le Stroop émotionnel est une variante du paradigme du Stroop test consistant à dénommer le plus rapidement possible et sans faire d’erreur, la couleur du mot présenté (émotionnel) tout en inhibant la signification sémantique du mot. Classiquement, la tâche comporte de 8 à 24 essais d’entraînement et de 48 à 288 items expérimentaux (selon le nombre de couleur utilisée dans la condition expérimentale). Tous les essais sont randomisés et chaque essai a un temps de fixation de 500 millisecondes (ms.) suivi d’un écran blanc durant 250 ms. La modalité de réponse peut se faire sous forme vocale ou digitale. Cette tâche s’utilise largement dans les études cliniques visant à mesurer les biais cognitifs associés aux troubles émotionnels (anxiété, stress post-traumatique ou dépression). Un allongement des temps de latence pour les mots menaçants (négatifs) par rapport à la condition contrôle (mots neutres) est considéré comme un biais cognitif car lié à une difficulté d’inhibition du traitement automatique de lecture du mot et une orientation automatique de l’attention dirigée vers la menace. L’indice d’interférence se calcule par deux équations : (1) : Indice d’interférence positif = TR (temps de réaction moyen) mots positifs – TR mots neutres (condition contrôle) et (2) : Indice d’interférence négatif = TR (temps de réaction moyen) mots négatifs – TR mots neutres (condition contrôle) [34].

Pour cette étude, un Stroop classique (« Stroop Test ») et un Stroop émotion (« Stroop Emotion ») furent intégrés au protocole de l’étude. Un pré-test sur la valence de 250 mots a été effectué auprès d’une population de 10 adultes tout venants (4 couples et deux célibataires). Les participants ont évalué la valence du mot (neutre, positif, négatif ou coloré) et ont gradué le degré de cette valence sur une échelle (exemple : « joie » : neutre, négatif, positif ou coloré ; 1 (peu positif), 2 (positif), 3 (très positif), 4 (extrêmement positif)). Les mots retenus sont ceux dont leur score oscille entre 3 et 4 sur l’échelle de gradation de la valence du mot (210 mots retenus sur 250 mots). Les mots exclus (40 mots exclus) sont les mots qui présentent une ambiguïté dans sa valence (exemples : sortie (positif et négatif), contrat (négatif et positif), naissance (positif et négatif)).

La tâche du Stroop test et du Stroop émotion fut créée grâce au logiciel Inquisit (version Inquisit 4.0.9.0 Lab/Millisecond Software, 2014) et fut utilisé sur un ordinateur MacBook, OsX (version 10.11.15). Ce logiciel de neuropsychologie permet l’encodage de lignes de commandes informatiques (script neurocognitif) en vue de créer une tâche expérimentale en neuropsychologie (comparable à E-Prime). La tâche créée dans la présente étude comporte 10 essais d’entraînement et 120 essais expérimentaux composée de 30 mots à valence neutre, 30 mots à valence couleur (Stroop classique), 30 mots à valence positive et 30 mots à valence négative (Stroop émotionnel) présentés soit en couleur jaune, rouge, bleu ou vert. Chaque essai comporte un écran de fixation présenté durant 500 ms, suivi d’un écran blanc durant 250 ms. Il est demandé au participant d’appuyer le plus rapidement possible sur la pastille de couleur (touche du clavier) dans laquelle le mot est écrit tout en ignorant la sémantique du mot.

Les trois indices d’interférence calculés étaient :

•   L’indice d’interférence positif (IP) = Temps de réaction moyen mots positifs – Temps de réaction moyen mots neutres (contrôles) ;

•   L’indice d’interférence négatif (IN) = Temps de réaction moyen mots négatifs – Temps de réaction moyen mots neutres (contrôles) ;

•   L’indice d’interférence couleur (Stroop classique) (IC) = Temps de réaction moyen mots couleurs – Temps de réaction moyen mots neutres (contrôles).

Analyses statistiques

Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide de SPSS Statistics® 20.0. Le degré de significativité (p-valeur) a été fixée à < 0,05 [35]. Les statistiques descriptives de base ont été appliquées (moyenne et écart-type) tant sur les variables socio-démographiques que sur les questionnaires et les deux tâches du Stroop. Pour les statistiques inférentielles, des analyses de comparaison (par l’ANOVA) ont été menées pour déterminer s’il existe une différence entre les mères et les pères aux questionnaires et aux deux tâches du Stroop. Enfin, des analyses corrélationnelles ont été conduites via le rho de Spearman (ρ) pour déterminer le degré d’association entre l’intolérance à l’incertitude, ses mécanismes de maintien et les résultats aux tâches du Stroop et des analyses de régressions multiples (type « stepwise ») ont été conduites afin de déterminer le poids de certains prédicteurs pour expliquer les temps de réaction (en ms.) aux tâche du Stroop.

Résultats

Données socio-médicales

Quarante-cinq mères et 16 pères (mères : M = 43,8; entre 30 et 56 ans; pères : M = 46,25; entre 32 ans et 64 ans) ont participé à l’étude. Parmi ces 61 parents, il y avait 8 couples (n = 16) et 45 parents ayant participé seul. Environ 78% des participants sont mariés ou en couple et ont terminé le niveau d’étude de l’enseignement secondaire (54%). Presque plus de la moitié des participants (44%) ont une situation professionnelle « d’employé » et presque un tiers ne travaille pas pour des raisons d’invalidité ou de chômage (27%). Concernant l’enfant en rémission de cancer, une majorité a été traité pour une leucémie (n = 17), pour un lymphome (n = 10) ou pour un sarcome/sarcome des tissus mous (n = 13). Le reste des cas concerne des tumeurs cérébrales (n = 5), des neuroblastomes (n = 2) des tumeurs rénales (n = 5), des tumeurs osseuses (n = 5) et des tumeurs plus rares (n = 4). L’enfant en rémission est âgé en moyenne de 13 ans au moment de l’étude (ET = 5,93) et de 7 ans au moment du diagnostic du cancer (ET = 5,5) (Tableau 1).

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Détresse psychologique parentale, intolérance à l’incertitude et facteurs de maintien

Les résultats montrent que 70% des parents ont des symptômes anxieux (HADS), 39% présentent des symptômes dépressifs (HADS) et 70% ont des inquiétudes relatives à l’évolution de la santé de leur enfant (QIPS-R15). Concernant l’intolérance à l’incertitude et ses facteurs de maintien (évitement cognitif, ruminations, utilité de l’inquiétude et attitude en résolution de problèmes), les résultats montrent qu’en moyenne, les parents ont une faible tolérance à l’incertitude (64% de l’échantillon) et que 60% de l’échantillon se situe dans un profil modéré à sévère de trouble de l’anxiété généralisée (TAG). Au regard des facteurs de maintien de l’II, les résultats aux questionnaires (QAP, QEC, PSI-II et Mini-CERTS) mettent en évidence l’existence de croyances positives à l’égard de l’inquiétude (principalement la résolution de problèmes et la personnalité) et d’évitement cognitif (principalement la distraction et la suppression de pensées). Cependant, des facteurs de protection ressortent des analyses; notamment une orientation de l’attitude efficace vers le problème (QAP) et un type de pensée répétitive « concrète-expérientielle » (PCE; Mini-CERTS) (Tableau 2).

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Stroop test et Stroop émotionnel

Les résultats de la tâche du Stroop classique et du Stroop émotionnel mettent en évidence un temps de réaction (TR en millisecondes) plus long pour la condition classique « couleur » et la condition émotion « négative ». En effet, en moyenne l’indice d’interférence couleur (IC) est de 44,44 ms. et l’indice d’interférence négatif (IN) est de 15,77 ms. et ce, comparativement à un indice d’interférence positif (IP) de 1,38 ms. Enfin, le nombre d’erreurs pour les mots colorés et les mots négatifs se révèle plus élevé dans ces deux conditions et ce, comparé aux erreurs dans la condition neutre (contrôle) et la condition des mots positifs (Tableau 3).

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Comparaison des scores moyens aux échelles et aux tâches du Stroop test

Les résultats ne montrent aucune différence significative (p > 0,05) pour les questionnaires entre les mères et les pères. Néanmoins, une différence significative s’observe pour l’indice d’interférence positive (IP) (p = 0,006) où les mères fournissent des réponses plus rapides (M = −8,03 ms.; ET = 42,21 ms.) comparées aux réponses des pères (M = 27,84 ms.; ET 46,04 ms.).

Corrélations et régressions

Des analyses de corrélation de Spearman (rs) entre les deux tâches du Stroop et les questionnaires sont conduites. Une corrélation positive significative entre l’indice d’interférence négatif (IN) et l’intolérance à l’incertitude (rs = 0,226, p < 0,01) est observée mais également entre l’IN et les pensées abstraites analytiques (rs = 0,221, p < 0,05) et les inquiétudes (rs = 0,219, p < 0,05) (Tableau 4).

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Deux régressions linéaires multiples ont été conduites afin de déterminer les prédicteurs impliqués dans les scores aux tâches du Stroop. Concernant, l’indice d’interférence négatif (IN), les résultats montrent un modèle « modéré » (R2 = 0,104) avec néanmoins pour prédicteur celui de l’intolérance à l’incertitude (β = 0,323; p = 0,011). Au regard de l’indice d’interférence couleur (IC), les résultats montrent un modèle également « extrêmement modéré » (R2 = 0,083) avec pour prédicteur celui des symptômes dépressifs (β = 0,289; p = 0,024) (Tableaux 5 et 6).

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Discussion

Cette étude avait pour objectif d’explorer s’il existait une relation entre l’intolérance à l’incertitude et une orientation préférentielle de l’attention sélective par deux tâches du Stroop. Les résultats cliniques aux questionnaires montrent le maintien d’une détresse chez les parents avec principalement des symptômes anxieux et des inquiétudes relatives à l’évolution de la santé de leur enfant. Ces résultats sont d’ailleurs fréquemment décrits dans la littérature scientifique [16]. Il est intéressant d’observer qu’en moyenne, les parents présentent une faible tolérance à l’incertitude (64% de l’échantillon) mais semblent avoir des ressources pour orienter leur attitude de façon efficace en résolution de problèmes (score moyen au QAP). En outre, les parents présentent préférentiellement des pensées répétitives concrètes et expérientielles (ruminations). Ce type de pensées est associé à une meilleure récupération après exposition à un stresseur, à une meilleure capacité de résolution de problèmes mais également à protéger contre les baisses d’humeur (pouvant conduire à la dépression) [30,36]. On observe également une corrélation significative et positive entre l’intolérance à l’incertitude et l’indice d’interférence négatif (mots à valence négative). Ce résultat peut être mis en lien (mais avec prudence), avec les travaux conduits sur l’anxiété et les biais cognitifs où l’individu anxieux tend à orienter préférentiellement son attention sélective vers des indices de danger ou de menace [23,24].

En outre, être un parent d’un enfant en rémission de cancer « le pousse » à être plus vigilant quant à l’évolution de la santé de son enfant. Dans cet environnement chargé d’incertitude, le parent peut exprimer naturellement des inquiétudes relatives à la santé de son enfant et aux effets tardifs des traitements; particulièrement si, l’enfant a été traité par chimiothérapie/radiothérapie après un diagnostic de leucémie ou de tumeur cérébrale [14]. Nonobstant les inquiétudes normales, nos résultats montrent l’influence négative de l’II sur les indices de détresse. Une faible tolérance à l’incertitude pousse le parent à développer une série de stratégies de compensation (évitement cognitif, croyances positives à l’égard de l’inquiétude, attitude négative aux problèmes et pensées répétitives) créant des conditions psycho-émotionnelles plus défavorables de l’ajustement psychologique pour le parent [17,18].

Conclusion

Cette recherche est la première dans le champ de la psycho-oncologie à associer la variable contextuelle « d’incertitude » avec le facteur de vulnérabilité d’II chez les parents d’un enfant en rémission de cancer et à intégrer l’outil neuropsychologique du Stroop dans l’approfondissement des processus cognitifs. Cette étude a pour intérêt d’attirer l’attention des équipes d’hématologie oncologie pédiatrique sur le facteur d’intolérance à l’incertitude; facteur qui augmente significativement le risque de développer un TAG mais également qui prend la forme de symptômes variés et intenses (somatiques, psychologiques, cognitifs et/ou comportementaux).

Dans cette recherche, nous avons exploré le modèle de l’intolérance à l’incertitude (M-II) au regard de l’ajustement du parent d’un enfant en rémission de cancer. Un certain nombre de principes issus de travaux réalisés à partir de la théorie de l’autorégulation dans la santé pourraient guider les interventions futures dans l’ajustement du parent [37]. Quelques-uns des principes en lien avec notre recherche sont proposés ici : explorer chez le parent les différentes représentations de la maladie cancéreuse, de ses effets tardifs et, oeuvrer à leur évolution si ces représentations devaient être en décalage avec la réalité médicale; aider le parent à identifier (perception, évaluation et interprétation) et à contrôler le comportement qui lui pose un problème (« je suis une mauvaise mère si je ne m’inquiète pas pour la santé de mon enfant »); renforcer l’auto-efficacité chez le parent par une intervention thérapeutique et lui fournir des outils lui permettant de tolérer l’incertitude et diminuer les processus compensatoires (e.g., inquiétudes excessives, évitement cognitif, ruminations).

Acknowledgement: les auteurs remercient les participants à l'étude.

Financements: Aucun financement n'a été délivré pour l'étude.

Contributions des auteurs: Les auteurs confirment leur contribution à l'article comme suit : conception et design de l'étude : Dr. Marie Vander Haegen, Pr. Anne-Marie Etienne; collecte des données : Dr. Marie Vander Haegen; analyse et interprétation des résultats : Dr. Marie Vander Haegen; préparation du projet de manuscrit : Dr. Marie Vander Haegen, Pr. Anne-Marie Etienne. Tous les auteurs ont examiné les résultats et approuvé la version finale du manuscrit.

Disponibilité des données et du matériel: Les données ne peuvent pas être partagées car elles sont utilisées pour d'autres publications en cours.

Avis éthqiues: Approbation éthique.

Conflits d’intérêt: Les auteurs déclarent aucun conflit d’intérêt.

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Haegen, M.V., Etienne, A. (2023). Etude exploratoire de l’intolérance à l’incertitude et de ses processus cognitifs par la tâche du stroop chez les parents d’un enfant en rémission de cancer. Psycho-Oncologie, 17(4), 257-266. https://doi.org/10.32604/po.2023.043340
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Haegen MV, Etienne A. Etude exploratoire de l’intolérance à l’incertitude et de ses processus cognitifs par la tâche du stroop chez les parents d’un enfant en rémission de cancer. Psycho-Oncologie. 2023;17(4):257-266 https://doi.org/10.32604/po.2023.043340
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M. V. Haegen and A. Etienne, “Etude exploratoire de l’intolérance à l’incertitude et de ses processus cognitifs par la tâche du Stroop chez les parents d’un enfant en rémission de cancer,” Psycho-Oncologie, vol. 17, no. 4, pp. 257-266, 2023. https://doi.org/10.32604/po.2023.043340


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