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ARTICLE
Evaluation du burnout du personnel soignant de l’Institut de Cancérologie d’Akanda
Evaluation of the Burnout of Caregivers of Institut de Cancérologie d’Akanda
Institut de cancérologie d’Akanda, Libreville, 3000, Gabon
* Corresponding Author: A. C. Filankembo Kava. Email:
Psycho-Oncologie 2023, 17(4), 267-273. https://doi.org/10.32604/po.2023.044512
Received 09 June 2022; Accepted 10 April 2023; Issue published 28 December 2023
RÉSUMÉ
Objectif. Le syndrome d’épuisement professionnel est fréquent chez les travailleurs de la santé en oncologie. Non diagnostiqué et incorrectement pris en charge, le burnout peut avoir un impact négatif sur le rendement professionnel. L’Institut de Cancérologie d’Akanda (ICA) est un centre hospitalier ultra-moderne qui se veut une référence en matière de prise en charge du cancer en Afrique centrale. L’objectif de l’étude est de mesurer la fréquence du burnout au sein du personnel soignant de l’Institut de Cancérologie d’Akanda et d’évaluer les principaux facteurs de risque. Patients et méthodes. Nous avons mené une étude transversale à l’Institut de cancérologie d’Akanda durant le mois de Janvier 2022. Le burnout a été évalué à l’aide du Maslach Burnout Inventory (MBI). Résultats. Sur les 42 participants, on notait une prédominance féminine (57,1%) avec un sexe ratio homme sur femme de 0,75. L’âge moyen était de 39,57 ± 8,13 ans. Les infirmiers représentaient plus de la moitié de l’échantillon (52,5%). La moyenne d’années de service à l’ICA était de 6,30 ± 4,80 ans. Une proportion de 35,7% des sujets présentaient un épuisement émotionnel. Quant à la dépersonnalisation sévère et la perte d’accomplissement sévère, elles étaient mesurées chez respectivement 14,3% et 31,0% des participants. Le burnout sévère a été retrouvé chez 14,3% des sujets. Il y avait une association significative entre l’épuisement émotionnel, les actes de violence et le soutien familial (p = 0,031; p = 0,042). Les sujets victimes d’actes de violence ont 5 fois plus de risque de développer un épuisement émotionnel sévère que les sujets non-victimes. Les sujets bénéficiant d’un soutien familial ont une réduction du risque de 82,6% de développer un épuisement émotionnel sévère. Il n’y avait pas d’association statistiquement significative entre les variables sociodémographiques ni professionnelles de l’échantillon et la dépersonnalisation ainsi qu’avec la perte d’accomplissement professionnel. Conclusion. Le burnout est relativement fréquent à l’ICA. Il est important de pouvoir l’identifier afin de prévenir les effets néfastes qu’il peut avoir sur l’état de santé physique et mentale du personnel, pouvant être responsable d’un impact négatif sur le fonctionnement du service et la prise en charge des patients. Un plaidoyer doit être émis à l’encontre du directeur afin de mettre en place des campagnes de sensibilisation pour l’identification du trouble et d’offrir un suivi psychologique.Abstract
Aim: Oncologists are particularly prone to developing burnout syndrome due to the demanding task of caring for cancer patients. Undiagnosed and incorrectly managed, burnout can have a negative impact on professional performance. The objective of the study is to measure the frequency of burnout among nursing staff at the Institut de Cancérologie d’Akanda (ICA) and to assess the main risk factors. Procedure: We conducted a cross-sectional study at the ICA during the month of January 2022. Burnout was assessed using the Maslach Burnout Inventory (MBI). Results: Between the 42 participants, there was a female predominance (57.1%) with a male to female sex ratio of 0.75. The mean age was 39.57 ± 8.13 years. Nurses represented more than half of the sample (52.5%). The average years of service at the ICA was 6.30 ± 4.80 years. Severe emotional exhaustion was found in 35.7% of subjects. As for severe depersonalization and severe loss of achievement, they were found in 14.3% and 31.0% of participants, respectively. Severe burnout was found in 14.3% of subjects. There was a significant association between emotional exhaustion, acts of violence and family support (p = 0.031; p = 0.042). Subjects who are victims of acts of violence are 5 times more likely to develop severe emotional exhaustion than subjects who are not victims. Subjects with family support had an 82.6% reduced risk of developing severe emotional exhaustion. There was no statistically significant association between the socio-demographic or professional variables of the sample and depersonalization as well as the loss of professional accomplishment. Conclusion: Burnout is relatively common at the ICA. It is important to be able to identify it in order to prevent the harmful effects it can have on the physical and mental health of staff, which may be responsible for a negative impact on the functioning of the service and the care of patients. A plea must be made against the director in order to set up awareness campaigns for the identification of the disorder and to offer psychological follow-up.MOTS CLÉS
Keywords
Selon la classification internationale des maladies (ICD-11), l’OMS rattache le burnout à un stress chronique lié au travail. Il se caractérise par un sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d’incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail [1]. La Santé publique France définit quant à elle le burnout comme un état d’épuisement physique, émotionnel et mental résultant d’une exposition à des situations de travail émotionnellement exigeantes [2]. Le syndrome d’épuisement professionnel vise principalement les personnes dont l’activité professionnelle implique un engagement relationnel important comme les travailleurs sociaux, les enseignants, les professions médicales [3]. De récentes études ont montré qu’environ un tiers des médecins en exercice ont présenté un épuisement professionnel [4]. Ce dernier est particulièrement fréquent chez les travailleurs de la santé en oncologie [5]. Une étude sur les oncologues a conclu que ces derniers sont particulièrement prédisposés à développer le syndrome d’épuisement professionnel en raison de la tâche exigeante de prise en charge de patients avec une pathologie aux conséquences graves, ainsi que des facteurs de stress émotionnels liés à la souffrance, aux difficultés, aux manques de moyens financiers et à la mort [6]. En Europe, 71% des jeunes oncologues présentent des signes de burnout [7]. Les résultats d’une méta-analyse menée auprès des infirmières en oncologie ont mis en évidence une fréquence du burnout de 62,79% [8]. Au regard des conditions de travail sous-optimales, une fréquence plus élevée du burnout peut être retrouvée chez les travailleurs de la santé dans les pays en voie de développement. Non diagnostiqué et incorrectement pris en charge, le burnout peut avoir un impact négatif notamment sur l’accroissement des erreurs médicales, l’amoindrissement de la qualité des soins, la diminution du rendement et la satisfaction du travail voire même l’apparition de certains symptômes émotionnels comme l’anxiété, la dépression, l’irritabilité et/ou des troubles addictifs tels que la toxicomanie [9,10]. En cas de burnout, il est préconisé un arrêt de travail de courte ou longue durée selon la sévérité des troubles observés et un suivi psychologique basé sur une thérapie comportementale et cognitive [11]. Il existe de nombreux outils permettant d’évaluer le burnout notamment le Copenhagen Burnout Inventory (CBI), le Burn-out Assessment Tool et le Maslach Burnout Inventory (MBI). Le MBI qui est un outil spécifique comportant 3 dimensions, développé par Maslach et al. [9,10]. Il existe plusieurs formes du MBI en fonction du groupe de travailleurs (pour le personnel médical, pour les travailleurs des services à la personne, pour les éducateurs, pour un usage général, pour les étudiants) [12]. Bien que de nombreuses études aient démontré la fréquence de l’épuisement professionnel auprès du personnel dispensateur de soins dans de nombreux pays notamment dans les pays d’Europe, aux USA et dans le Moyen-Orient, les données restent inexistantes au Gabon dont le chef-lieu de la province de l’Estuaire, Akanda comprend le seul centre de traitement des cancers. L’ICA a pour missions le diagnostic, le traitement (aussi bien curatif que palliatif) et l’expertise au profit des patients présentant un cancer. Il contribue également à la formation continue du personnel [13]. En moyenne par an, l’ICA reçoit 624 nouveaux cas avec un indice de 3 médecins pour 100 patients et un indice de 3,5 patients pour un infirmier 100 patients d’après le registre hospitalier des cancers, témoin d’un déficit en ressource humaine et corollaire d’une charge importante de travail. L’objectif de l’étude est de mesurer la fréquence du burnout au sein du personnel soignant de l’Institut de Cancérologie d’Akanda et de déterminer les principaux facteurs de risque.
Nous avons mené une étude transversale au sein des services de radiothérapie, oncologie et hôpital de jour de l’Institut de Cancérologie d’Akanda durant le mois de Janvier 2022. L’ICA est un centre hospitalier ultra-moderne inauguré le 06 Février 2014. L’ICA se veut une référence en matière de prise en charge du cancer en Afrique centrale. Il comprend un service d’oncologie médicale, de radiothérapie et de médecine nucléaire pour un total de 36 lits d’hospitalisation et un nombre de ressources humaines de 107 agents.
Le personnel soignant des services de l’ICA comprenant tous les médecins, tous les infirmiers et le psychologue, travaillant depuis au moins un an à l’ICA a été inclus.
A été exclu le personnel n’ayant aucun contact avec les patients tels que les agents administratifs et techniques, les ingénieurs biomédicaux et le personnel du laboratoire.
Les informations ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire auto-administré, distribué au personnel inclus et dûment rempli à domicile et restitué dans un délai de 72 heures. Ce questionnaire comportait 2 parties :
Une première partie contenant les données sociodémographiques telles que le genre, l’âge et la profession et des données cliniques telles que la notion de perception auto-déclarée du stress, les troubles psychosomatiques auto-déclarés recueillis de manière binaire en répondant par OUI ou NON (irritabilité, troubles du sommeil, anxiété, céphalées et dépression), les conduites addictives (addiction tabagique, énolique ou consommation de café) et la durée d’absentéisme. L’autonomie décisionnelle, aussi appelée latitude décisionnelle, a été relevée. Cette notion renvoie à la possibilité d’exercer un certain contrôle sur son travail, à celle d’utiliser ses compétences et d’en développer de nouvelles [14].
Une 2e partie comportant le Maslach Burnout Inventory (MBI) qui est un outil spécifique permettant d’évaluer l’épuisement professionnel du soignant. Maslach, Jackson et Leiter ont décrit des points de 0 à 6. Il existe des plages de scores qui définissent les niveaux bas, modérés et élevés de chaque échelle en fonction du score de 0 à 6. C’est une échelle de fréquence de 22 items représentant les 3 dimensions de l’épuisement professionnel :
L’Epuisement Emotionnel (EE) : L’échelle d’épuisement émotionnel (EE) à 9 éléments mesure le sentiment d’être émotionnellement surchargé et épuisé par son travail. Des scores plus élevés correspondent à un épuisement professionnel plus important.
La Dépersonnalisation (DP) ou Déshumanisation : L’échelle de dépersonnalisation (DP) à 5 éléments mesure une réponse insensible et impersonnelle envers les bénéficiaires de leur service, de leurs soins, de leur traitement ou de leur instruction. Des scores plus élevés indiquent des degrés plus élevés d’épuisement professionnel.
La Perte d’Accomplissement Personnel (AP) : L’échelle d’accomplissement personnel (AP) à 8 éléments mesure les sentiments de compétence et de réussite dans son travail. Des scores plus faibles correspondent à un épuisement professionnel plus important.
L’analyse statistique comprenait 2 volets : descriptive et analytique. Sur le plan descriptif, les résultats ont été présentés sous la forme de fréquences pour les variables catégorielles et sous forme de moyennes avec écart-type pour les variables numériques. L’analyse univariée a été réalisée, après avoir dichotomisé les modalités de classement des sujets après utilisation des 3 dimensions du MBI (EE sévère ou non sévère, DP sévère ou non sévère, AP sévère ou non sévère) en utilisant les tests classiques (Chi2, test de Fisher et test t de Student). Le seuil de significativité a été fixé à 0,05%. L’analyse multivariée par régression logistique binaire a testé l’association des variables ayant un p < 0,20, après analyse univariée avec les items du MBI selon le modèle de dichotomisation. L’analyse des données a été effectuée à l’aide du logiciel SPSS dans sa version 21.
Au total, nous avons inclus 42 participants. On notait une prédominance féminine (57,1%) avec un sexe ratio homme sur femme de 0,75. L’âge moyen était de 39,57 ± 8,13 ans. Les infirmiers représentaient plus de la moitié de l’échantillon (52,4%). La moyenne d’années de service à l’ICA était de 6,30 ± 4,80 ans (Tableau 1).
Déterminants du burnout et symptômes psychosomatiques
Plus des 2/3 des participants considéraient leur travail comme étant stressant et représentant une charge importante. Plus de la majorité des sujets ont rapporté que leur travail ne se déroulait pas dans des conditions adéquates et que la rémunération était insuffisante (73,2% et 71,4% respectivement). Le tiers des participants a décrit être victime de violence verbale (insultes, menaces) et/ou physique (portant atteinte à l’intégrité physique). La grande proportion des actes de violences étaient commis par les accompagnants de malades (76,5%). Une latitude décisionnelle était décrite par un peu plus de la moitié de l’échantillon (54,1%). Le soutien de la famille des participants était la forme de soutien la plus relevée (90,5%). Les participants ont reconnu majoritairement avoir des moments de détente (76,2%). Les céphalées étaient le signe psychosomatique le plus retrouvé suivi des troubles du sommeil et de l’anxiété. Ces symptômes sont apparus et/ou ont été majorés depuis la prise de service à l’ICA d’après 65,7% des sujets de l’étude. L’addiction la plus retrouvée était liée à la prise de café (14,3%). Ces résultats sont présentés dans le Tableau 2.
Evaluation de l’impact du burnout sur la ponctualité au poste
Un peu moins du quart des sujets ont rapporté avoir besoin de s’absenter pour éliminer les symptômes psychosomatiques (22,0%). La moyenne de jours d’absence était de 1,56 ± 0,72 jours. Les sujets ont majoritairement auto-rapporté un sentiment de satisfaction de leur travail de la part de la hiérarchie et des malades (74,4% vs. 92,9%). Voir Tableau 3.
Evaluation du burnout du personnel de l’ICA
L’épuisement émotionnel sévère touchait 35,7% des sujets. Quant à la dépersonnalisation sévère et la perte d’accomplissement sévère, elles étaient mesurées chez respectivement 14,3% et 31,0% des participants. Le burnout sévère a été retrouvé chez 14,3% des sujets de l’échantillon (Tableau 4).
Analyse multivariée de l’épuisement émotionnel avec les variables sociodémographiques
Il y avait une association statistiquement significative entre l’épuisement émotionnel et les actes de violence et le soutien familial (p = 0,031; p = 0,042). Les sujets victimes d’actes de violence ont 5 fois plus de risque de développer un épuisement émotionnel sévère que les sujets non victimes. Les sujets bénéficiant d’un soutien familial ont une réduction du risque de 92,6% de développer un épuisement émotionnel sévère. Bien qu’il n’y ait pas de lien statistiquement significatif, les célibataires ont 3 fois plus de risque de développer un épuisement émotionnel sévère. Une charge de travail importante, les conditions de travail adéquates et la satisfaction du travail par la hiérarchie diminuent le risque de développer un épuisement émotionnel sévère (Tableau 5).
Analyse multivariée de la dépersonnalisation avec les variables sociodémographiques
Il n’existait pas de lien statistiquement significatif entre la dépersonnalisation et les variables socio-professionnelles. Il y avait une diminution du risque de la dépersonnalisation lorsque le sujet rapportait une satisfaction de son travail par la hiérarchie et une augmentation du risque de la dépersonnalisation sévère lorsque les sujets rapportaient avoir des moments de détente (Tableau 5).
Analyse multivariée de la perte d’accomplissement professionnel avec les variables sociodémographiques
Aucune variable socio-démographique ni professionnelle n’étaient liée à la perte d’accomplissement professionnelle. Les sujets de sexe masculin ont présenté une augmentation du risque de la perte d’accomplissement professionnel par rapport aux femmes. Les sujets ayant des moments de détente ont présenté une diminution du risque d’environ 80% par rapport aux sujets n’ayant pas de moments de détente (Tableau 5).
Dans notre étude, dont l’objectif général était de mesurer la fréquence du burnout, nous avons mis en évidence une fréquence de 14,3% de burnout sévère et 33,3% de burnout modéré. Un peu moins de la moitié du personnel de l’ICA souffre d’épuisement professionnel modéré à sévère. Ceci témoigne d’une qualité médiocre de la santé mentale du personnel enclin à des conséquences aussi bien psychologiques que physiques. Cette prévalence était plus élevée que celle retrouvée par Al Dubai et al. dont la prévalence était de 11,7% [15]. Elle était plus faible que celles retrouvées par Lissandre et al., Shanafelt et Rana Salem et al. qui ont rapporté respectivement des prévalences de 39%, 45,8% et 47,1% respectivement [4,5,16]. Une revue systématique avec méta-analyse réalisée en 2008 a mis en évidence une prévalence du burnout sévère compris entre 8 et 51% témoignant d’une hétérogénéité des résultats [17]. Les professionnels de santé travaillant dans le domaine de l’oncologie souffrent fréquemment du burnout car ils ont des tâches exigeantes impliquant de s’occuper de patients ayant des pathologies graves, de soutenir leur famille, de gérer des problèmes émotionnels liés aux soins de fin de vie et à la mort [18]. L’identification de ce syndrome est primordial car le burnout peut altérer la qualité des soins et être responsable d’erreurs diagnostiques, d’erreurs de prise en charge et surtout avoir des effets néfastes sur la santé des professionnels de santé passant par des problèmes de santé chroniques ou des problèmes mentaux tels que la dépression, l’anxiété, la consommation de substances, ou des idées de suicide avec parfois des passages à l’acte [19].
L’épuisement émotionnel sévère a été retrouvé dans 35,7% des cas, témoin d’un épuisement des ressources émotionnelles. Ces résultats sont en accord avec ceux rapportés par les données de la littérature qui rapportent une fréquence d’épuisement émotionnel sévère entre 25 et 53% [20–24] mais plus faibles que ceux rapportés dans d’autres études [15,25]. Les sujets victimes de violence ont un risque augmenté par 5 de présenter un épuisement professionnel sévère. La violence au travail est un facteur de stress professionnel [26] car elle conditionne l’environnement de travail négativement [15]. Des études ont montré une majoration du risque par 10 de développer un épuisement émotionnel causé par le stress au travail [23]. Le soutien familial constituait un facteur protecteur contre l’épuisement émotionnel sévère. Demerci et al. ont décrit des niveaux d’épuisement professionnel plus élevé chez les sujets dont la vie familiale et sociale avait été affectée par leur travail [21]. Glasberg et al. ont suggéré que le stress émotionnel au domicile pourrait contribuer à la survenue du burnout [18].
La dépersonnalisation sévère (ou cynisme) a été retrouvée dans 14,3% des cas témoignant d’une indifférence de traitement envers les patients voire une chosification. Ces résultats s’inscrivent dans le même ordre que ceux retrouvés dans la littérature qui ont rapporté des résultats variant de 8,2 à 19,4% [15,16,23,27]. Il n’y avait pas d’association statistiquement significative entre les variables socio-démographiques ni professionnelles de l’échantillon et la dépersonnalisation. Une étude brésilienne a rapporté que pratiquer une activité physique ou avoir des moments de loisir, des temps de congés suffisants et une affiliation religieuse étaient inversement associé à la survenue de burnout [18]. Elit et al. ont décrit une influence du temps passé en contact direct avec le patient comme étant une source de déshumanisation [28]. He et al. révéla dans son étude que les oncologues qui étaient impliqués ou avaient une formation supplémentaire pour comprendre les problèmes psychosociaux en oncologie étaient moins susceptibles de s’épuiser ou de subir une dépersonnalisation dans leur pratique [29]. A l’ICA, de nombreux médecins et paramédicaux ont pu bénéficier d’une formation en soins palliatifs permettant une prise en charge holistique des patients et une diminution de la notion de patient-objet. Des cliniciens conscients sont plus en mesure d’écouter la détresse des patients, de reconnaître leurs propres erreurs, d’affiner leurs compétences techniques, de prendre des décisions afin de pouvoir agir avec compassion [19].
La perte d’accomplissement professionnel sévère a été retrouvée chez 31,0% des participants, en adéquation avec celle rapportées par de nombreuses études [15,21,22,24] mais plus faibles que celle retrouvée dans l’étude de Yg et al. [25]. Aucun lien statistique n’a été retrouvé entre la perte d’accomplissement professionnel et les variables étudiées. Arigoni et al. ont décrit la participation à des activités de recherche et d’enseignement et l’accès à la formation continue comme étant des facteurs protecteurs de la survenue de burnout [22]. Toutefois, il s’agit plutôt d’intervention individuel. Il serait mieux de considérer une intervention à 2 niveaux ciblant le niveau individuel et organisationnel (réduire le fardeau de la documentation, clarifier et guider les tâches administratives, à encourager un style de gestion participative avec les médecins et à inculquer une responsabilité professionnelle de prendre soin de soi) [19]. Nous devrions donner la priorité aux patients en réduisant le temps consacré aux tâches administratives [30] L’institut de cancérologie d’Akanda a mis en place depuis de nombreuses années déjà, la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) dont le but premier est la prise de décision collégiale afin de mettre en route le traitement le plus efficient. La priorité est le patient et ceci passe par une décharge du médecin traitant dont la crainte d’erreur diagnostic ou de prise en charge n’incombe plus au médecin traitant seul. Force et limites.
Les principales limites de notre étude reposent dans le choix de la conduite d’une étude transversale qui ne permet pas d’obtenir des critères de causalité telle que la temporalité bien que les questions soient posées afin de déterminer la séquence des événements depuis la prise de service à l’ICA car les réponses peuvent faire l’objet d’un biais de mémorisation. Les questions concernant les moments de détente et de loisirs peuvent être sources de biais d’informations notamment par leur caractère subjectif. Les questions relatives à l’anxiété et à la dépression auraient pu faire l’objet d’une évaluation à l’aide d’échelles de mesure spécifique afin d’éliminer toute subjectivité. De plus, des informations n’ont pas été recueillies concernant la quantité objective de travail (nombre de gardes passées, le nombre d’heures au chevet des patients ou le nombre de malades vus quotidiennement) ni l’appartenance religieuse. Toutefois, notre étude jouit d’un recueil exhaustif permettant de pallier au biais de sélection. De plus l’anonymat du questionnaire et son caractère auto-administré suggère une honnêteté quant aux réponses palliant ainsi au biais de réponses positives ou au biais de prévarication.
Le burnout est relativement fréquent à l’ICA. Il est important de pouvoir l’identifier afin de prévenir les effets néfastes qu’il peut avoir sur l’état de santé physique et mentale du personnel, pouvant être responsable d’un impact négatif sur le fonctionnement du service et la prise en charge des patients. Un plaidoyer doit être émis à l’encontre du directeur afin de mettre en place des campagnes de sensibilisation pour l’identification du trouble et d’offrir un suivi psychologique.
Acknowledgement: Tous les auteurs ont contribué à l’écriture et à la relecture de l’éditorial.
Financements: non concerné.
Contributions des auteurs: Les auteurs confirment avoir contribué à part égale à la rédaction de cet article.
Disponibilité des données et du matériel: Les données ne sont pas disponibles.
Avis éthqiues: non concerné.
Conflits d’intérêt: Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt.
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