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ARTICLE
Etude de faisabilité SKYPE « Suivi en Kinésithérapie et Yoga - Projet Educatif » auprès de patientes présentant des douleurs dues à l’hormonothérapie après un cancer du sein
Physiotherapy, Yoga and Educational Project for Patients Suffering from Pain Due to Hormone Therapy after Breast Cancer: The SKYPE Feasibility Study
1
Département des Soins de support, Institut régional du Cancer de Montpellier, Université de Montpellier, Montpellier Cedex 5, 34298,
France
2
Unité de Biométrie, Institut régional du Cancer de Montpellier, Université de Montpellier, Montpellier Cedex 5, 34298, France
3
Direction de la recherche clinique et de l’innovation, Institut régional du Cancer de Montpellier, Université de Montpellier,
Montpellier Cedex 5, 34298, France
4
Département d’Oncologie Médicale, Institut régional du Cancer de Montpellier, Université de Montpellier, Montpellier Cedex 5,
34298, France
* Corresponding Author: Kerstin Faravel. Email:
Psycho-Oncologie 2023, 17(3), 123-131. https://doi.org/10.32604/po.2023.044806
Received 13 December 2022; Accepted 10 July 2023; Issue published 30 September 2023
RÉSUMÉ
Environ la moitié des patientes traitées par hormonothérapie (HT) après un cancer du sein souffrent de douleurs ostéo-articulaires, ce qui augmente les interruptions de traitement et les risques de récidives. Notre objectif était de montrer la faisabilité et l’adhésion des patientes à un programme de kinésithérapie-yoga basé sur l’apprentissage d’une pratique quotidienne de yoga et d’évaluer l’évolution de la douleur, la souplesse et la satisfaction. La faisabilité était évaluée par l’assiduité à au moins 4/6 séances encadrées et 70% de la pratique autonome. L’intervention se déroulait sur deux périodes (P) de 6 semaines : P1 comprenant une séance hebdomadaire de yoga encadrée par une kinésithérapeute et 15 minutes de yoga en autonomie et P2, 15 minutes de yoga/jour en autonomie. Les évaluations ont eu lieu à l’inclusion et à la fin de chaque période. Nous avons inclus 24 patientes d’âge médian de 53 ans [range 36–72]. La faisabilité a été validée avec une adhésion à 83%. La douleur a diminué de 2 points sur l’échelle numérique (EN) pour 58% des patients. La souplesse s’est améliorée, le gain médian était de 8 cm. La satisfaction médiane était de 10/10 [range 8–10]. L’intervention combinée de kinésithérapie-yoga-éducation thérapeutique du patient est une stratégie faisable pour augmenter la pratique de yoga autonome. Il y a potentiellement des bénéfices sur la douleur, la souplesse et la satisfaction, ce qui est en cours d’évaluation dans une étude randomisée, multicentrique.Abstract
Approximately 50% of breast cancer patients under hormone therapy experience osteoarticular pain, which increases the risk of treatment discontinuation and relapse. The aim of the study was to assess the feasibility of yoga practice associated with patient education (PE) for at-home practice in breast cancer patients under hormone therapy. We also evaluated osteoarticular pain, flexibility and patients’ satisfaction. In this study, intervention was split into two 6-week periods (P): P1 consisting of a supervised yoga-PE session of 90 minutes/week and 15-minutes of daily at-home yoga, and P2, involving daily autonomous athome yoga sessions. Feasibility was evaluated by patient adherence defined as completion of at least 4 out of the 6 supervised yoga-PE sessions and 70% or more of the at-home yoga sessions. Evaluations (at inclusion and at the end of each period) consisted in assessment of osteoarticular pain, forward flexibility and patient satisfaction. Twenty-four women with a median age of 53 years [36–72] were included. Feasibility was validated with a successful adherence rate reaching 83%, combined with a mean satisfaction score of 10/10 [8–10]. In addition, 58% of patients reported reduced osteoarticular pain, with a 2-point reduction on the numerical rating scale. The forward flexibility also improved, with a median gain of 8 cm. Combined physiotherapy-yoga-PE intervention is a feasible strategy, increasing at-home yoga practice with potential benefit on pain, flexibility, and patient satisfaction. Evaluation of this innovative program is ongoing in a larger randomized multicenter trial.MOTS CLÉS
Keywords
En France, 58 500 femmes sont traitées pour un nouveau cancer du sein chaque année [1] et 80% ont une tumeur hormonodépendante [2] pour laquelle un traitement par hormonothérapie (HT) est prescrit. 45 à 60% des patientes traitées par hormonothérapie souffrent de douleurs ostéo-articulaires [3–6]. La durée du traitement par HT est souvent de 5 ans avec une tendance à augmenter selon les situations jusqu’à 10 ans [7]. La bonne gestion des effets secondaires de l’HT a pour objectif d’augmenter la qualité de vie et l’observance au traitement pour diminuer les risques de récidive [8–10]. Selon Greenlee et al., 48%–80% des patientes traitées pour un cancer du sein sollicitent une prise en charge complémentaire [11]. Des recommandations sur l’utilisation des thérapies complémentaires pendant et après un cancer du sein ont récemment été publiées par l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) [12]. Une revue de la littérature a démontré que les thérapies les plus efficaces pour lutter contre les douleurs liées à l’HT sont les anti-inflammatoires, le paracétamol et le yoga [13]. Des revues de la littérature soulignent l’intérêt de l’activité physique et en particulier le yoga dans la gestion des symptômes en lien avec un cancer ou des traitement [14–16]. Le yoga pratiqué en cours encadré a déjà fait ses preuves concernant les bénéfices au niveau de la qualité de vie pour des patientes traitées pour un cancer du sein [17,18] ainsi que pour les femmes sous HT [5,6].
Il nous a paru innovant de proposer une intervention combinée de kinésithérapie et yoga postural intégrant l’Education Thérapeutique du Patient (ETP) qui permettrait aux patientes de réaliser de façon autonome des postures à domicile. Quelques rares études ont suggéré aux patientes de compléter les séances encadrées par une pratique à domicile, sans accompagnement en ETP [6,19,20]. Il n’existe pas, à notre connaissance, de données sur l’apprentissage et la réalisation de postures de yoga à domicile en France permettant de renforcer le sentiment de compétence personnelle des patientes et d’évaluer ainsi l’impact du yoga à plus long terme.
L’objectif principal de notre étude SKYPE était de montrer la faisabilité et l’adhésion des patientes à un nouveau type de programme de kinésithérapie-yoga basé sur l’apprentissage d’une pratique quotidienne de yoga à domicile pour permettre aux patientes d’être autonomes dans la gestion des effets secondaires de l’HT. Parmi les objectifs secondaires nous avons évalué l’évolution de la douleur en lien avec l’HT et la souplesse en flexion en avant.
Les patientes ont été recrutées parmi les femmes traitées pour un cancer du sein à l’Institut régional du Cancer de Montpellier (ICM) et incluses selon les critères suivants : âge ≥18 ans, cancer du sein non métastatique, HT adjuvante en cours et sans modification de traitement au cours des 30 derniers jours, évaluation de la douleur à ≥4/10 sur l’échelle numérique (EN) de la douleur, sans traitement oncologique autre que l’HT au moins 2 mois avant l’inclusion, consentement et couverture sociale française.
Les critères de non-inclusion étaient les suivants : douleurs rhumatologiques chroniques avec une prise en charge spécifique, pratique du yoga dans les 3 mois précédant l’inclusion ou contre-indication à la pratique de l’activité physique.
Un consentement éclairé écrit a été obtenu de toutes les patientes avant l’inclusion. L’étude a été approuvée par le comité d’éthique français “Comité de Protection des Personnes (CPP) Ouest VI” (18 mai 2018) et a été menée conformément à la déclaration d’Helsinki, aux recommandations de bonnes pratiques cliniques et au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). L’étude SKYPE a été enregistrée sur ClinicalTrials.gov (NCT04001751).
L’intervention s’est déroulée sur 12 semaines, séparées en 2 périodes : P1 comprenant une séance de yoga hebdomadaire supervisée (au total 6 séances) et 15 minutes de pratique de yoga à domicile et P2 comprenant uniquement une pratique de yoga à domicile (Fig. 1).
La douleur étant généralement ressentie dans les articulations distales, les postures de yoga ont été choisies pour éviter de faire peser le poids du corps sur les poignets. Les séances de yoga sont décrites dans le Tableau 1. Comme il est courant dans la pratique du yoga, les patientes ont été encouragées à adapter les postures à leurs limites et à leurs capacités.
L’intervention a intégré l’ETP et est basée sur le modèle de l’implémentation des intentions et le concept de perception du contrôle personnel [21–23]. L’intégration de ces éléments issus des sciences humaines et sociales avait déjà été testée par l’équipe pour accompagner avec succès des changements d’habitudes chez les patients [24].
Ainsi, à l’inclusion lors du Bilan Educatif Partagé (BEP), les patientes ont été invitées par la kinésithérapeute à définir leurs objectifs de pratique personnelle du yoga et à préciser le moment, le lieu, la fréquence et la durée de leur pratique à domicile (Fig. 1). Un minimum de 15 minutes de pratique quotidienne du yoga était recommandé.
La première période (P1) de l’étude, d’une durée de 6 semaines, visait à initier le processus d’apprentissage de la pratique du yoga à domicile en bénéficiant de séances supervisées par un kinésithérapeute formé au yoga postural et à l’éducation thérapeutique. Les séances de yoga de 90 minutes par semaine ont été dispensées dans l’unité de kinésithérapie de l’ICM pour des groupes de 5 femmes maximum. Ces séances ont été planifiées et détaillées conformément au “Guide animateur du Kinésithérapeute”, pour garantir la reproductibilité de l’intervention. Après l’accueil des participantes et le partage d’expériences, chaque séance commence par aborder une notion philosophique de yoga basée sur les Yoga Sutra de Patanjali [25]. Ensuite la kinésithérapeute guide la séance de yoga posturale et la relaxation. Le cours se termine par un exercice de respiration (pranayama) et un échange sur le vécu de la séance ainsi qu’un partage concernant la définition des objectifs personnels pour la semaine à venir (cf. Tableau 1). Chaque patiente a reçu un kit pédagogique d’apprentissage contenant un livret, un enregistrement audio de la séance à pratiquer à domicile et un carnet de bord. Le livret, “Mon guide de yoga”, présente de façon illustrée les 10 postures et les modalités de pratique en autonomie. L’enregistrement audio a été envoyé par e-mail ou copié sur clé USB. Le carnet de bord a permis aux patientes de rapporter quotidiennement les informations sur la régularité et la durée de leur pratique du yoga à domicile.
La deuxième période (P2), d’une durée de 6 semaines, visait à prolonger les séances quotidiennes de yoga à domicile apprises au cours de la période P1. Pour renforcer la motivation, la kinésithérapeute a envoyé des e-mails collectifs pendant les semaines 2 et 4 et, à la demande de patientes, un soutien personnel a été apporté par téléphone.
Critères et méthode d’évaluation
Pour cette étude de faisabilité, le critère principal a été d’évaluer l’adhésion de la patiente, définie comme la participation à 4 ou plus des 6 séances supervisées ainsi que la réalisation de 70% ou plus des séances à domicile. Pour les sessions supervisées durant P1, la kinésithérapeute a enregistré la participation. L’adhésion aux séances à domicile pendant les 12 semaines de P1 et P2 a été évaluée à partir des données enregistrées dans les carnets de bord remplis par les patientes.
L’évaluation initiale (E0) a été réalisée à l’inclusion, l’évaluation intermédiaire (E1) à la fin de P1 et l’évaluation finale (E2) à la fin de P2. A l’inclusion (E0), les caractéristiques sociodémographiques et cliniques des patientes ont été recueillies : âge, poids, indice de masse corporelle, stade TNM, traitements oncologiques précédents ainsi que la distance géographique entre le domicile et l’hôpital.
Pour les critères secondaires, également évalués à E0, E1 et E2, la kinésithérapeute a utilisé l’échelle numérique (EN de 0 à 10/10) pour mesurer l’intensité maximale de la douleur associée à l’HT. Nous avons choisi l’échelle numérique de la douleur, validée dans l’usage de l’évaluation de la douleur en oncologie [26]. La question qui a été posé aux patientes est la suivante : « à quelle intensité maximale évaluez-vous vos douleurs ostéo-articulaire en lien avec l’HT, 0 étant pas de douleur et 10 la douleur maximale imaginable au cours de la semaine qui vient de s’écouler ». Le seuil de la douleur à ≥4/10 a été choisi pour inclure des patientes à partir d’une douleur avérée, les plus douloureuses dans la catégorie de douleur légère selon Jones et al. [27]. La souplesse en flexion en avant a été évaluée en mesurant la distance entre le bout des doigts et le sol alors que la patiente, debout sur une marche, se penchait en avant, en gardant les genoux droits et les pieds joints. Les valeurs sont exprimées sous forme de médiane et en cm. Les valeurs négatives (sous le niveau de la marche) indiquent une plus grande souplesse. La satisfaction des patientes vis-à-vis de l’intervention a été évaluée à E1 et E2 à l’aide d’une échelle de Likert allant de 0 à 10 points (0 pas du tout satisfaite et 10 extrêmement satisfaite). Par ailleurs, une question ouverte a été posée lors des BK 2 et 3 : comment avez-vous vécu la participation ? Les verbatim ont été retranscris intégralement par la kinésithérapeute.
Les effets indésirables dus à l’HT ou à la pratique du yoga ont été enregistrés lors de toutes les évaluations ou séances supervisées selon les critères de terminologie commune des effets indésirables du National Cancer Institute (NCI-CTCAE) v5.0.
La taille de l’échantillon a été calculée en utilisant un plan de Fleming à une étape. Avec une valeur alpha fixée à 0,05, une puissance de 82% et des valeurs p0 et p1 de 50% et 75%, respectivement, un échantillon de 24 patientes a été nécessaire pour cette étude. En outre, des réglés de décision ont été définies par le plan de Fleming en fonction des hypothèses permettant de conclure au sujet de la faisabilité de l’intervention ; en effet la faisabilité serait considérée comme acquise si au moins 16 des 24 patientes adhéraient à l’intervention. Dans le cas contraire (soit, moins de 16 patientes adhérentes) l’intervention aurait été considérée comme insuffisamment faisable. La proportion d’adhésion est présentée avec un intervalle de confiance à 95% (IC 95%). Les variables catégorielles sont décrites à l’aide de fréquences et de pourcentages et les variables continues à l’aide de médianes, valeurs minimum et maximum. Un test non paramétrique de Wilcoxon pour des échantillons appariés a été utilisé pour comparer la distribution des variables d’intérêt (telle que la douleur en lien avec l’HT et la souplesse en flexion) entre deux moments de temps parmi les trois évaluations réalisées, à E0, E1 et E2. Le choix d’une approche non paramétrique a été motivée par la petite taille d’échantillon. Le niveau de signification statistique a été fixé à p < 0,05. Les données ont été analysées à l’aide de Stata version 16 (StataCorp LP, College Station, TX).
Entre septembre 2018 et mai 2019, l’étude a été proposée au sein de l’Institut régional du Cancer de Montpellier (ICM) à 41 patientes éligibles dont 24 ont été incluses (Fig. 2).
Le taux d’acceptation a été de 58,5% et l’âge médian des patientes était de 53 ans [36–72]. Les raisons principales de refus de participation ont été « pas disponible » (19,5%), « trajet trop long » (17%), « dérangée par le regard des autres » (2.5%) et « pas intéressée » (2.5%). Toutes les patientes avaient eu une chirurgie sénologique, 92% des patientes avaient eu une radiothérapie et 71% avaient eu une chimiothérapie. Les caractéristiques des patientes à l’inclusion sont présentées dans le Tableau 2.
Parmi les 24 patientes incluses, 23 patientes ont réalisé au moins une séance encadrée (96%) et 75% des patientes (n = 18) ont participé à la totalité des 6 séances encadrées.
Concernant les séances pratiquées à domicile, la médiane a été de 74 séances [range 43–83] d’une durée médiane quotidienne de 15 minutes [8–105]. Plus de la moitié des femmes (54%) ont pratiqué entre 70%–99% des séances. Sept femmes (29%) ont pratiqué la totalité des séances recommandées (78 séances) ou même plus. Deux femmes n’ont pas atteint les 70% des séances à domicile (55 séances) et 2 patientes n’ont pas démarré le programme, soit 83% des patientes (n = 20) a atteint 70% des séances à domicile. Au total 20 patientes sur 24 ont adhéré à l’intervention selon les critères définis dans le protocole (minimum de 4 séances sur 6 des séances encadrées et 70% de la pratique autonome), ce qui représente un taux d’adhésion de 83% (avec IC 95% de [63%–95%]). La faisabilité a ainsi été validée.
Le score de la douleur en lien avec l’hormonothérapie a diminué de 2 points sur l’EN pour 58% des patientes entre l’inclusion (E0) et le bilan final (E2). En effet, une diminution significative de la douleur a été observée entre ces deux moments avec des valeurs médianes de l’EN de 6 [4–10] à E0 et de 4 [0–7] à E2 (p = 0.0052) (Fig. 3a).
Par rapport à la souplesse en flexion nous avons observé également une réduction significative dans les mesures de distance au sol, les médianes étant de +4 cm à E0 et de −4 cm à E2 (avec des distances qui ont varié entre +18 cm et −7 cm et entre +10 cm et −14 cm, respectivement, p = 0.0001). Toutes les patientes ont gagné en souplesse, en médiane 8 cm entre E0 et E2 comme le montre la Fig. 3b.
La satisfaction du projet a été très élevée et notée entre 8 et 10/10, avec une médiane à 10. Trois verbatim illustrent le vécu des patientes et leurs nouvelles compétences psychosociales :
« Je suis ravie de ce projet et je me sens mieux ! Les douleurs ont un peu diminué et je me sens surtout plus calme et je gère mieux mes émotions »
« J’ai appris à connaître mon corps et à ne pas forcer. Je me sens moins enfermée et comme réconciliée avec mon corps »
« Depuis que je pratique ma séance de yoga le soir, je ne prends plus de somnifères pour arriver à m’endormir, la séance m’apaise suffisamment »
Notre étude SKYPE a montré la faisabilité de la réalisation d’un nouveau type de programme éducatif de kinésithérapie et yoga avec une adhésion de 83% des patientes participantes présentant des douleurs en lien avec l’hormonothérapie après un cancer du sein. Nous rapportons également une baisse significative de ces douleurs avec une réduction de 2 points sur l’EN pour 58% des patientes et une amélioration de la souplesse en flexion à 12 semaines [28]. Il serait intéressant de confirmer le maintien dans le temps de ces résultats. Peu d’études à notre connaissance ont évalué les résultats au-delà de 3 mois, cependant Chandwani et al. montrent des bénéfices physiques maintenus à 6 mois après un programme de une à trois séances hebdomadaires pendant 6 semaines de radiothérapie [19].
Le taux de participation des patientes a été de 58.5% ; ce qui est plutôt élevé. Pour des interventions comparables proposées au même type de population, la littérature indique des taux de participation variant entre 23.3% et 56% [17,20,29]. La raison principale de refus de participation a été l’éloignement géographique de l’ICM. Le fait de proposer des séances supervisées en visioconférence pourrait limiter ce frein ; ce d’autant que l’épidémie de Covid a accéléré l’utilisation de cette technique tant par les professionnels de santé que par les patients.
L’adhésion au programme SKYPE a également été importante et 83% ont accompli 4 ou plus des 6 séances supervisées et réalisé 70% ou plus des séances à domicile. Ce résultat pourrait être lié au concept même de l’intervention qui a un format répondant aux attentes et/ou besoins des patientes, réalisé à un moment opportun dans le parcours de soins des patientes, en intégrant de l’ETP théorico-ancrée pour faciliter le changement.
Le format de l’intervention avec des séances de yoga adaptées aux limitations éventuelles des patientes a répondu aux exigences et aux espérances des patientes. D’autres auteurs ont constaté que ce type d’intervention non médicamenteuse est plébiscité par les patients ayant un cancer [11,12]. Les patientes concernées ont vécu des transformations dans leurs corps dues à la maladie et aux traitements [30]. Le yoga pourrait les aider à se réapproprier leur corps et à se reconstruire sur le plan physique et psychologique [31].
L’intervention a été proposée après la fin des traitements oncologiques aigus. C’est un moment où les patientes expriment un sentiment de vide et d’abandon après un suivi régulier et fréquent lors des traitements initiaux [32]. Lors du traitement par hormonothérapie, les suivis sont plus espacés alors que les effets secondaires de l’hormonothérapie sont présents et que le traitement est prescrit pour 5 à 10 ans [7,30]. Ceci peut expliquer pourquoi le soutien, l’écoute et le suivi de notre intervention a donné autant de satisfaction à ce moment précis de transition dans le rythme du parcours de soin.
La différence d’adhésion observée entre notre étude et les précédentes est aussi possiblement liée à la méthode d’apprentissage intégrant le modèle de l’implémentation des intentions et de l’ETP connus pour optimiser et favoriser le changement d’habitudes [33,34]. En définissant précisément au préalable quand, comment, où et avec quels matériels et outils éducatifs pratiquer le yoga, les patientes ont pu planifier le déroulement de leur pratique à domicile. Elles ont ainsi rédigé une feuille de route pragmatique et adaptée à leurs conditions de la vie.
Au cours de l’étude, la pratique autonome du yoga a été importante puisque 83% des patientes ont réalisé leurs séances de yoga à domicile 4.6 à 7 jours par semaine.
Une étude japonaise [20] a proposé une pratique de yoga à domicile 2 fois par semaine pendant la chimiothérapie et Galantino et al. [6] ont recommandé aux patientes une pratique à domicile 3 fois par semaine pendant l’HT avec 80% d’assiduité, mais sans accompagnement en ETP dans les deux cas. A notre connaissance, il n’existe pas d’autres programmes ayant invité les patientes traitées par HT après un cancer du sein à une pratique quotidienne de yoga. Des études ont proposé deux séances hebdomadaires d’une durée similaire à la nôtre, mais n’ont pas inclus la pratique à domicile [5,35,36]. Deux études ont proposé un rapport de 4:1 entre la durée cumulée de la pratique supervisée et celle de la pratique à domicile [6,17]. Ces études ont cependant évalué les séances supervisées et ont fourni peu d’informations sur la manière dont les séances à domicile étaient organisées et évaluées. Notre étude apparaît originale en favorisant l’autonomie à domicile. Nous avons encouragé une réduction de la durée cumulée des séances supervisées au profit d’une augmentation de la durée de la pratique à domicile. Ainsi, le ratio recommandé a été de 1:1 pour la période P1 et de 1:2 pour l’ensemble de l’étude. Ce ratio, appliqué avec des séances supervisées en visioconférence, pourrait être particulièrement intéressant pour les patientes vivant loin de l’hôpital et pour lesquels les ressources et les structures de soins sont limitées.
Enfin, s’il est admis qu’il n’est pas facile de trouver la motivation pour démarrer ou poursuivre une activité physique de façon autonome, pour autant fortement recommandée, [37,38], nous pensons que notre intervention intégrant l’ETP théorico-ancrée accompagnée du kit pédagogique a permis de faciliter l’apprentissage et son assimilation dans la pratique quotidienne. Après avoir été invitées par la kinésithérapeute à identifier leurs ressources et leurs potentiels freins à la pratique en autonomie, les patientes ont anticipé et se sont projetées dans la pratique de façon réaliste en appliquant le modèle de l’implémentation des intentions.
La grande autonomie des patientes, rendue possible dans ce programme, permet de proposer une solution non-médicamenteuse qui semble efficace, sans pour autant surcharger l’établissement de santé et imposer de nombreux déplacements aux patientes. Ainsi, notre intervention combinée devrait permettre, avec une activité psychocorporelle, d’aider les patientes à intégrer une nouvelle façon de vivre après la maladie [39].
La limite essentielle de notre étude a été l’absence de groupe de contrôle. En effet, notre objectif principal était d’évaluer la faisabilité de l’intervention étant donné l’investissement demandé de la part des patientes. Une autre limite a été le nombre de patientes incluses, cependant statistiquement calculé et comparable à d’autres études de faisabilité [20,40]. L’hétérogénéité concernant les traitements d’hormonothérapie, incluant les anti-aromatases et le tamoxifène, pourrait aussi constituer une limite. Nous avons fait le choix de les évaluer ensemble pour une étude en vie réelle et aucune différence significative entre les deux types d’HT n’a été mise en évidence. Une limite supplémentaire à notre étude pourrait être le caractère auto-rapporté de la pratique en autonomie, cependant les résultats montrent une amélioration progressive de la souplesse plutôt en faveur d’une réelle pratique physique. Enfin, concernant l’évaluation de la douleur, l’EN a des limites, l’utilisation d’un questionnaire validé comme le Brief Pain Inventory permettrait de mieux connaître la nature de la douleur.
La validation de la faisabilité de ce protocole SKYPE de kinésithérapie-yoga-ETP ouvre des perspectives pour une prise en charge des douleurs liées à l’HT. L’étude souligne également l’intérêt de proposer des temps éducatifs pour accompagner les femmes à mobiliser, renforcer et acquérir des compétences. Cette approche psychocorporelle, intégrant l’ETP théorico-ancré, pourrait être utile pour aider les patientes à gérer au mieux et à diminuer les effets secondaires des traitements. Une étude randomisée, multicentrique, SKYPE 2 (NCT04457895), est en cours pour évaluer son efficacité.
Remerciements/Acknowledgement: Nous remercions chaleureusement les patientes pour leur participation à cette étude et nous sommes reconnaissants envers toutes les équipes à l’Institut régional du Cancer de Montpellier qui ont rendu sa réalisation possible. Nous remercions tout particulièrement les attachées de recherche clinique Manon Sire et Caroline Constant ainsi que les élèves en kinésithérapie Cécile Egron-Reverseau et Olivia Blanc pour leur aide lors de la récupération de données. Un grand merci également à Mathieu Gourlan pour son aide concernant le modèle de l’implémentation des intentions et au Dr Maryvonne Soulier, pionnière ayant introduit le yoga à l’ICM dans les années 2000.
Financements/Funding Statement: L’étude a été soutenue financièrement par le Cancéropôle Grand Sud-Ouest http://www.canceropole-gso.org/ (numéro de contrat [#2017-E16]) qui n’a joué aucun rôle dans la conception, la mise en place et la conduite de l’étude et n’a pas été impliqué dans la collecte des données, l’analyse et l’interprétation des données, ni la rédaction du rapport d’étude et de la publication.
Contributions des auteurs/Author Contributions: Les auteurs confirment leur contribution à l’article comme suit : conception de l’étude et rédaction du protocole : K. Faravel, W. Jacot, A. Stoebner ; expertise en éducation thérapeutique du patient pour la conception de l’étude et l’intervention : M.E. Huteau ; aspects éthiques et légaux et administration générale : L. Meignant ; gestion du département des soins de support : P. Senesse ; conception méthodologique et statistique et analyse des données : M. Jarlier ; interprétation des résultats ; K. Faravel, M. Jarlier, W. Jacot, A Stoebner ; préparation du projet de manuscrit : K. Faravel, M.E. Huteau, A. Stoebner. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.
Disponibilité des données et du matériel/Availability of Data and Materials: Les données et le matériel qui étayent les résultats de cette étude sont disponibles auprès de l’auteur correspondant (KF) sur demande précise et justifiée.
Avis éthqiues/Ethics Approval: non concerné.
Conflits d’intérêt/Conflicts of Interest: Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt.
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